samedi 18 août 2012

Les hérétiques sauvés par le CO2, petite réflexion sur la science et les scientifiques





Petite réflexion sur la science et les scientifiques, ainsi que sur les théories du complot...
(J'avoue qu'il y a une petite dose de provocation dans cet article.)


    Autrefois on brûlait les hérétiques, mais à présent que la raison scientifique a mis au placard toute forme de superstition religieuse, on se contente de les accabler de moqueries et d’en rire à gorge déployée. S’il en fallait une, ce serait bien là une preuve du haut degré de tolérance que nos cultures ont atteint. Et puis si d'aventure, quelque tribunal inquisiteur cédait au plaisir inavoué d’en brûler un ou deux, il s’en trouverait de toute façon empêché rien qu’à l’idée du CO2 que produirait cette sainte combustion !


Cette réflexion ironique, à la limite de la provocation j’en conviens, m’est venue à la lecture d’un article publié sur un blog du monde :
« L’extraterrestre de Roswell nie le réchauffement climatique».
Pierre Barthélémy, l’auteur de ce blog, alias « le passeur de science » y évoque une étude d’une équipe de l'université d'Australie-Occidentale, qui met en évidence un lien entre les théories du complot et le rejet des sciences. Vous comprendrez très vite à la lecture des premières lignes de cette étude qu’il ne s’agit que d’une énième bulle papale excommuniant ces nouveaux hérétiques que sont les climato-sceptiques.




Je ne nie pas le réchauffement climatique, c’est bon ? Je peux continuer ?


« Je ne nie pas le réchauffement climatique, c’est bon ? Je peux continuer ? » C’est ainsi que commençais le commentaire que par deux fois j’ai tenté de publier sur le blog. Mais malgré mon ton mesuré et mes arguments raisonnables (que vous trouverez plus loin dans cet article), ce « passeur de science » a préféré publier l’avalanche de commentaires « passionnés » qu’un tel article pouvait susciter (je vous laisse aller vérifier). La raison en est simple, les débordements hystériques des aficionados de théories du complot diverses et variées (dont celle des odieux climato-sceptiques) ne pouvaient que mettre en valeur le ton docte et élégamment moqueur dudit passeur de sciences (Bon, j'exagère, il est peut-être parti en vacances ;-).

Ce qui m’a gêné dans cet article, ce n’est pas tant le cliché sur le scientifique raisonnable (je vais y revenir), que la charge cruelle contre le petit peuple des hérésiarques qui osent faire usage de leur liberté de pensée (parfois maladroitement, j’en conviens).

C’est tellement facile de rire de ceux qui croient que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres, ou qu’Elvis Presley n’est pas mort et vit pour l’éternité sur la planète Xanadu (ah bon vous ne saviez pas ?). Mais en y réfléchissant bien, ne croyez-vous pas vous-même en quelque chose qui surement ferait rire des gens d’une autre culture que la votre ? Rire ou hurler de haine, car je maintiens que le rire est malgré tout une forme de politesse ; la réaction la plus courante devant quelqu’un dont la croyance nous heurte étant la plupart du temps le rejet hostile. Personnellement je vous l’avoue, je crois aux valeurs des Lumières et de la Révolution française et je suis sûr et certain que cela doit faire rire la moitié au moins de la planète !

Avec une telle croyance personnelle, j’éprouve bien sûr un grand respect pour les sciences et la plus profonde méfiance envers toutes les formes de superstitions. Mais justement, grâce à cet intérêt majeur que je porte aux sciences et surtout grâce à ce que cela m’a appris, je me garde bien de juger mal, tous ceux qui pensent autrement que moi.



Théorie du complot et psychologie sociale


Pour ce qui est du phénomène de société que sont devenues les théories du complot, je recommande de lire l’enquête que vient de publier Nicolas Chevassus-au-Louis sur l’excellent Médiapart, "Qu'est-ce qui détermine l'adhésion à une théorie du complot ? Pourquoi croit-on à certaines, et pas à d'autres ? Est-ce une question de position sociale ? De type de personnalités ?" Voilà les vraies questions que posent cette brillante enquête, "autant de questions qui passionnent la psychologie sociale depuis la fin des années 1990" explique l’auteur.

Si vous êtes abonnés à Médiapart, l'enquête commence ici : Enquête sur les théories du complot (1/4) : L'Etat et les autres

Mais l’auteur de cette enquête pose selon moi une autre question aussi importante (partie 4/4), celle de savoir « à qui profite le crime ». Voici par exemple ce qu’il dit à propos du livre de Richard Hofstadter "The Paranoid style in American Politics" paru en 1964 :

« L'historien américain y développait l'idée selon laquelle la vie politique américaine serait marquée depuis ses débuts par un « style paranoïaque » caractérisé par « l'exagération outrancière, la suspicion et le délire conspiratoire ». Nul doute que Hofstadter pointait dans cet essai une réalité incontournable. […] Mais le problème est que l'analyse d'Hofstadter, en important pour la première fois dans le domaine de l'analyse politique la catégorie psychiatrique de paranoïa, est venue légitimer l'idée que toute théorie du complot serait le fruit d'un esprit dérangé devant être tenu à l'écart du jeu politique
De fait les dirigeants politiques ne se privent pas d'utiliser l'argument pour se débarrasser de critiques importunes. Tony Blair s'en était-il fait une spécialité, qualifiant en janvier 2003 d'« absurde théorie du complot » l'idée selon laquelle l'invasion de l'Irak par les troupes de la coalition menée par les Etats-Unis serait motivée par une volonté de mainmise sur les secondes réserves de pétrole mondiales et réitérant l'accusation en février 2010 à propos des motivations de la commission d'enquête sur la participation du Royaume-Uni à la guerre en Irak ? ».


Le livre de Hofstadter est téléchargeable ici (en xps) : "The Paranoid style in American Politics"

Je sais que j’ai été fortement marqué par la lecture de Propaganda, le livre d’Edward Bernays, l’un des pères de l’ingénierie sociale (la manipulation de masse si vous préférez). Mais j’ai le sentiment que les théories du complot sont en passe de devenir un instrument de choix pour les "spin doctors" de ladite ingénierie.

Comme il va bientôt devenir commode de ranger dans la catégorie des pauvres neuneus ou des paranoïaques les représentants de toute forme d’opposition à la pensée dominante, qu’elle soit scientifique, ou politique !

Imaginez ma réaction il a quelques temps de là, lorsque mon meilleur ami à qui je vantais le livre de Naomi Klein, « la stratégie du choc », me demanda s’il ne ressortait pas un peu de la théorie du complot !

Propaganda est accessible en ligne sur le site des éditions ZONE : "Propaganda"



Mais revenons plutôt à nos scientifiques…


Quelle incroyable naïveté en effet que celle de croire que les scientifiques sont de purs esprits rationnels, exempts des péchés des passions humaines !

Vous souvenez-vous de ces chercheurs du CNRS qui étaient membres de la secte du temple solaire ? Je m’étais étonné de cette énormité, à l’époque des faits tragiques, auprès d’une directrice de recherche à l’INSERM (la femme de l’ami dont je viens de parler plus haut ;-). Elle m’avait alors expliqué combien la perpétuelle remise en question des travaux d’un scientifique, la critique permanente, le jugement par ses pairs, etc. (le fameux doute scientifique en somme), pouvait amener certains d’entre eux à rechercher la confortable certitude que peut apporter une croyance religieuse.

Eh bien oui, tragique révélation, les scientifiques sont des gens comme les autres ! Et pas plus que les autres, ils ne sont à l’abri de l’erreur religieuse de la pensée dogmatique. Voltaire l’avait déjà démontré à sa manière, dans l’article sur l’esprit faux, de son dictionnaire philosophique. La meilleure éducation, fusse-t-elle scientifique, peut même servir à justifier nos pires superstitions !

Le dictionnaire philosophique de Voltaire est téléchargeable ici : "Dictionnaire philosophique"

Et l'article sur l'esprit faux se trouve sur mon "blog-notes", ici : "Esprit faux"


Pour vous donner un bon exemple, sachez que l’Association du Vajra Triomphant (l’ancienne secte du Mandarom) fondé par « sa Sainteté le Seigneur Hamsah Manarah, Messie Cosmo-planétaire », et marqué par diverses affaires judiciaires, est désormais dirigée par une chercheuse au CNRS, membre du Laboratoire de Physique des Plasmas ! (Je ne donne pas son nom par charité athée ;-).

J’ai découvert à l’occasion de la rédaction de cet article, ce texte écrit par M. Josef Schvanec (Post-Doctorant, EHESS, CRIA) publié sur le site de l’école des hautes études en sciences sociales : « Quand Dieu se réincarne dans la science : frontières et mutations de quelques nouvelles religions universitaires, en France et Amérique »

C'est une "pépite" dont je vous conseille la lecture attentive (16 pages).

Voici les premières lignes de son introduction :

« Dieu contre la science ». Cette maxime médiatique au succès prodigieux ne serait sans doute pas reprise telle quelle par un responsable universitaire. Toutefois, développée et reformulée, elle n'en demeure pas moins un pilier fondamental de l'histoire des sciences ou de l'université au sens le plus large : la science aurait pour mission première de défaire ou de faire reculer l'obscurantisme, l'ignorance, les mythes, les croyances archaïques, que l'on résume ou assimile plus ou moins à l'idée de Dieu. Le principe, appris dès les premiers âges de la formation du futur scientifique1, tenu pour fondateur et donc acquis une bonne fois pour toutes, est dans la plupart des cas tellement implicite qu'il ne requiert pas d'explication ultérieure.
Adopter un angle d'approche opposé, à savoir montrer que la science peut engendrer, sous certaines circonstances, une forme de religion, est inhabituel, voire relève des pensées dérangeantes. Le phénomène existe bel et bien cependant. »

J’espère que vous avez déjà envie de lire la suite (n’oubliez pas non-plus de lire Voltaire !)


La science, ses engouements, et ses erreurs...


L’engouement d’une grande partie de la communauté scientifique pour la théorie climatique qui prétend que l’homme est responsable (voire "coupable") du réchauffement climatique, me fait penser à l’engouement que la communauté scientifique et les plus brillantes élites de l’époque, avaient eu pour la théorie « éminemment scientifique » de l’eugénisme dans les années 30. Un des plus ardents défenseurs de cette théorie en France, Alexis Carel, avait même eu, lui aussi, un prix Nobel !

Ce grand scientifique affirmait "beaucoup d'individus inférieurs ont été conservés grâce aux efforts de l'hygiène et de la médecineet il préconisait leur élimination. On ne peut bien sûr lui faire porter la responsabilité de tout ce qui est ensuite arrivé, mais le grand homme écrivait tout de même en 1936 dans la préface de la traduction allemande de son fameux livre, "l'homme cet inconnu" : "En Allemagne, le gouvernement a pris des mesures énergiques contre l'augmentation des minorités, des aliénés, des criminels. La situation idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éliminé quand il s'est montré dangereux"

On sait quelles furent les conséquences néfastes de cette théorie scientifique, qui depuis est tombée dans les poubelles de l’histoire des sciences. Jusqu’aux plaques de rues portant le nom de ce « savant désavoué » qui ont été déboulonnées !



Il est temps de conclure ce trop long article, non ? 😉


En résumé, non monsieur le passeur de science, les scientifiques, fussent-ils membre de la sainte église du GIEC ne sont pas à l’abri de l’erreur, et ce n'est pas très charitable de se moquer de ceux qui tentent de penser par eux-mêmes ! Si selon vous, ils pensent mal, c'est peut-être parce que l'école a mal effectué son travail, (par exemple) et ce n'est pas obligatoirement parce que ce sont de pauvres neuneus ! La progressive disparition des cours d'histoire et de géographie et l'obsession de fabriquer des hordes de mathématiciens qui deviendront traders ou climatologues au GIEC, pourraient être des pistes à étudier, par exemple...

L’objet de mon article n’est pas de discuter de l’indiscutable changement climatique, et encore moins de ses causes (résulte-t-il des péchés des hommes ou d’une toute autre raison scientifique ?). En qualité d'ingénieur travaillant dans l’énergie et l'environnement, je sais que la croisade contre le CO2 présente au moins l’avantage de prévenir, tant faire se peut, le choc inévitable qui résultera de l’épuisement des énergies fossiles. Et en tant qu’ancien élève ayant suivi des cours de géographie dans les années 60 et 70, je sais que le climat n’a jamais cessé de changer, voir même parfois très rapidement (élévation de 20 m du niveau de la mer en cent ans, il y a 14.000 ans !) et que les hommes ont toujours su s’adapter à ces changements. Je pense en revanche que ce sera difficile de vivre dans une société sans pétrole, ou sur des terres polluées par des catastrophes nucléaire (l’énergie « propre », car sans CO2 !), mais ça, c’est un autre sujet. (A chacun ses peurs).

Ce qui me surprend parfois de la part de ceux qui aiment si sincèrement la planète (comme on dit à présent), c'est la totale méconnaissance de son histoire (sachez par exemple que nous traversons actuellement la cinquième ère glaciaire !). Mais bon, je ne continue pas sur ce chemin-là, j'ai trop peur de me retrouver en mauvaise compagnie.



Alors d’accord avec la lutte contre le CO2, mais pas d’accord avec l’intolérance, pas d’accord avec l’excommunication des hérétiques, qu'ils soient climato-sceptiques ou anti-mondialistes ! 😟

Et que les climatologues prennent gardent s’ils ne veulent pas faire de tort à leur juste cause en adoptant les travers d’une religion établie.
Je relève en effet dans leur posture actuelle trois aspects très négatifs que l’on retrouve hélas dans la plupart des religions :
  • Le discours de culpabilité,
  • La menace de catastrophe
  • Et la chasse aux hérétiques…
Cela suffit pour m’inquiéter et cela m'incite à commencer de scientifiquement douter.



Bon, ça y est, je conclus (je suis toujours trop long) 😉

M. Chevassus-au-Louis écrivait ceci dans la conclusion de son enquête sur les théories du complot :
« Plus qu'une improbable épidémie de paranoïa, plus qu'une défiance, aussi légitime aujourd'hui qu'hier, à l'égard des vérités d'Etat, l'influence des théories du complot traduit au fond la progression de l'idée que le monde est devenu trop complexe pour être décrit, compris, connu, et en particulier par les sciences. »

Je partage totalement ce point de vue sur la complexité du monde devenu impossible ou presque à penser. J’ajouterai que nous ne devons jamais oublier non-plus de décrire, comprendre et connaitre les hommes ; les hommes sans lesquels le monde ne serait rien d’autre qu’une banale planète perdue dans l’univers.



Bertrand Tièche, le 18 août 2012


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