IMPORTANT
Compte tenu de son importance, cet article a été réactualisé
et complété le 1er février 2022. Celui-ci est juste conservé pour le cas où
certains sites auraient des liens y menant (ce qui est hautement improbable,
j'en suis conscient).
Je vous invite donc à cliquer sur l'image ci-dessous pour accéder à la version entièrement mise à jour.
J'ai conservé précieusement cet article du physicien
nucléaire Raymond Sené datant de mai 2008.
On le trouve encore sur le site fantôme des
Verts Ile de France.
Il est d'une brûlante actualité, raison pour laquelle nous
le reproduisons sur notre site. Il décrit dans le détail l'évolution du
discours du lobby nucléaire français, de la sûreté absolue, jusqu'à la gestion
de l'accident devenu certain...
COUP DE GUEULE !
De l’évolution de la doctrine de l’industrie nucléaire
par Raymond SENÉ, physicien nucléaire
Mardi 19 août 2008
« On est donc passé, en une quarantaine d’années, de la
sûreté absolue, à l’accident possible, puis à l’accident certain, tellement certain
qu’il faut travailler, non pas la sûreté pour l’éviter, mais l’acceptabilité de
son occurrence par les populations ».
Les allégations lors des années 50 étaient : “L’énergie
nucléaire permettra de produire de l’énergie en quantité illimitée et quasiment
gratuite”.
Puis “Atom for peace” annonce le bonheur pour l’humanité et
ce ... sans risques.
Puis, c’est l’accident de Three Mile Island (1) en 1979 : _ une grosse
peur ... mais les Américains sont des ânes et ... c’est dû à l’embonpoint du
chef de quart dont la bedaine empêchait la lecture des indications sur le
panneau de conduite.
Par contre, chez nous, le Francatome est d’une sûreté
inébranlable.
Néanmoins, on va remplacer les soupapes Fischer, responsables de l’accident de
Three Mile Island (car en cas de décharge, elles se coincent en position
ouverte).
J’avais oublié de vous dire que notre palier des centrales de 900 Mw est
purement du Westinghouse, construit sous licence américaine, donc après avoir
été conçu par les ânes cités plus haut.
Arrive Tchernobyl en 1986 la grosse frayeur : un
réacteur à neutrons lents peut devenir surcritique prompt et vous sauter à la
figure comme un vulgaire surgénérateur.
Quel manque de savoir vivre !
Vite il faut expliquer que les Soviétiques sont des nuls,
que leurs réacteurs sont mal conçus .... etc ... même si la veille de
l’accident, on vous les donnait encore en exemple.
Je me souviens d’une réunion contradictoire tenue à Saclay, où un physicien du
Commissariat à l’Energie Atomique, un communiste pur et dur nous expliquait,
sans sourire, qu’en URSS le rendement de Carnot était plus favorable que dans
les pays capitalistes.
Ce qu’il voulait nous dire, c’était que la construction des centrales à
proximité des villes, permettait d’utiliser les rejets d’eaux chaudes pour
faire du chauffage urbain, ce qui améliorait le rendement global de
l’installation.
Pauvre Carnot !!! et pauvres habitants de Pripiat ...
Mais après un moment de stupeur, et la décision de hâter la
fermeture des Graphites - Gaz (Chinon 2 et 3, St Laurent 1 et 2 et Bugey 1) qui
n’avaient guère plus d’enceinte de confinement que les réacteurs RBMK
soviétiques (telle que la centrale de Tchernobyl), notre cher M. Tanguy
(ancien directeur de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire) se hâta
d’expliquer que la probabilité pour qu’un accident grave survienne sur un de
nos réacteurs du type PWR était ... peanuts !!!
Donc, depuis le début du Françatome, on nous ressasse que le
nucléaire est sûr, archi-sûr et que tout est prévu pour éviter, pour empêcher
qu’un accident grave puisse se produire.
D’ailleurs, en France, nous avons une solution pour obtenir
ce résultat : il suffit de publier au journal officiel un arrêté fixant
les modalités de qualité de fabrication, de construction, permettant d’obtenir
cette sûreté absolue.
D’accord, on est en France, donc un dernier article de cet arrêté donne la
possibilité de dérogations (2).
Puis arrive l’EPR (European Pressurized Reactor) (3).
La vague de libéralisme submerge la sûreté.
Il faut que cette machine produise des KWh moins chers, pas pour le client,
mais permettant plus de profits pour les futurs actionnaires de la future boite
privée que va devenir EDF.
Donc on étudie des astuces permettant de gagner sur la disponibilité de la
machine.
Que certaines de ces options mettent en péril la sûreté, c’est certain.
Les cycles longs avec des hauts taux de combustion exigent des combustibles ayant
une charge fissile au démarrage à la limite des zones dangereuses, les
puissances résiduelles plus importantes rendent inopérants les dispositifs
d’évacuation de la chaleur en cas de gros pépin ... (4).
Qu’à cela ne tienne, les dogmes des barrières
1re barrière : la gaine du combustible,
2e barrière : le circuit primaire avec la
cuve,
3e barrière : l’enceinte de confinement
en prennent un sacré coup.
Les gaines ... boff ... avec des taux de combustions de 80 à
90 GWjour/tonne ne sont garanties que grâce à une aide divine.
Donc si le cœur fond, la cuve ... fond aussi.
D’où l’apparition, tel Zorro, du récupérateur de corium, dispositif destiné,
d’après ses concepteurs à rassembler tout le corium fondu dans une zone où il
serait possible de le refroidir.
Il va falloir prévoir dans les procédures, une procession annuelle pour essayer
de mettre les Dieux dans de bonnes dispositions ... (5)
Mais, je pense que vous avez remarqué qu’on est passé
subrepticement du zéro accident grave à un dispositif destiné à confiner le
résultat d’un accident grave programmé.
*C’est cela le progrès technique.*
La phase suivante consiste, désormais puisque l’accident
grave est envisagé comme étant quasi certain, à étudier le post-accidentel.
Pour cela on dispose, grâce à Tchernobyl, d’un retour d’expérience ... pas très
encourageant !!!
De nombreuses réunions de groupes de travail, en France (CODIRPA (6) ), et au
niveau européen (European Nuclear Energy Forum), ont lieu depuis début 2008.
Un volet particulier y est étudié : l’acceptabilité par les populations du
nucléaire
vous rigolez ?
Non bien sûr !
d’un accident et de ses conséquences.
Ces groupes de travail, composés en quasi-totalité de
représentants des constructeurs et des autorités administratives, débattent
doctement des astuces psychologiques qu’il faudra mettre en œuvre en cas
d’accident.
Ce n’est pas surprenant que les citoyens de base n’y soient pas représentés.
Ils pourraient avoir leur mot à dire car, en fait, après une première phase
relativement courte où ce seront les agents du site qui seront en première
ligne, ce seront eux, les voisins plus ou moins proches de l’installation, qui
auront à subir pendant des dizaines d’années, voire beaucoup plus - mais là il
s’agit de générations, les nuisances et les effets sur leur santé et sur
l’environnement.
On est donc passé, en une quarantaine d’années, de la sûreté
absolue, à l’accident possible, puis à l’accident certain, tellement certain
qu’il faut travailler, non pas la sûreté pour l’éviter, mais l’acceptabilité de
son occurrence par les populations.
Et si on arrêtait le nucléaire ?
Raymond SENÉ
Physicien nucléaire
Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN)
in la Gazette
Nucléaire (page 3-n°245/246-mai 2008)
Publication du GSIEN
2 rue François Villon 91400 ORSAY
(1) Premier accident sur un 1000 MW, mais auparavant des
réacteurs expérimentaux eurent des états d’âme destructifs, et en particulier
un Suisse construit à Lucens (1969), qui divergea puis ne s’arrêta qu’une fois
fondu.
(2) Voir décret 99-1046 du 13-12-1999 article 27
(3) L’EPR n’est, par rapport aux réacteurs des paliers 900 et 1300 Mwe (y
compris N4), qu’une petite évolution du même style que celle qui fit passer des
réacteurs graphite gaz de Chinon 2 et 3 et St Laurent 1 et 2, à celui de Bugey
1.
En fait de troisième génération, c’est une resucée de la seconde, en beaucoup
plus dangereux ! ! !
(4) D’ailleurs, nous avons appris, à l’occasion des réunions du débat public,
qu’au-dessus d’une puissance nominale de 600 MWe, les dispositifs de
refroidissement destinés à sauver la cuve seraient insuffisants, voire
inopérants.
(5) Le puits de cuve est d’ailleurs revêtu d’une couche de « béton
sacrificiel ». Quand on vous dit qu’il y a un recours aux
dieux ! ! !
(6) CODIRPA : COmité DIRecteur pour la gestion de la phase
Post-Accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence
radiologique