Ce "non-article" fut le dernier publié sur l'ancienne version de Transitio.net.
Je ne savais pas encore comment faire évoluer le site. J'avais grand besoin de réfléchir.
Je reproduis cet extrait sur la version 2.0 de Transitio.net
L'article que j'aurais pu vous écrire !
J’aurais voulu vous écrire un dernier bel article qui aurait
traité tout à la fois de l’effondrement, de l’effacement et de l’amnésie.
Un effondrement à peine perceptible, tant il est silencieux.
J’aurais alors évoqué pour vous émouvoir, non-pas la
raréfaction des matières premières ni même l’effet de serre, mais plutôt la disparition de 421 millions d'oiseaux en moins en
trente ans, révélée par une étude publiée par le journal scientifique Ecology Letters, critiquant
les méthodes modernes d'agriculture.
J’aurais posé la fameuse question "Un arbre qui tombe
dans la forêt fait-il du bruit si personne n’est là pour l’entendre ?".
Un effacement organisé des mémoires.
Pour illustrer ce phénomène Orwelien, j’aurais bien sûr
évoqué la réforme du programme des collèges, la suppression de
l’enseignement des humanités à l’école, voire même le crépuscule des bibliothèques. Mais j’aurais hésité car l’hydre du
FN, qui tel un puant Midas, transforme en excrément toutes les idées quelles
touche, a évoqué la réforme des collèges dans son discours du 1er mai en
hommage à Jeanne la Pucelle.
Je n’aurais bien sûr pas manqué de m’irriter contre le
sinistre retour de la religion, l’obscurantisme allant de pair avec
l’ignorance.
Je me serais demandé si la cause de tout ceci ne serait pas
l’éternel mépris de certaines élites pour ce qu’elles croient être le peuple.
J’aurais fait une comparaison entre des sociétés où les élites ont besoin d’un
peuple éduqué pour s’enrichir et des sociétés ou un peuple instruit devient au
contraire un véritable danger.
Une amnésie qui nous guette.
J’aurais bien sûr conclu, en évoquant l’amnésie du paysage,
si bien expliquée par Jared Diamond dans son ouvrage
visionnaire "Effondrement".
Chaque année, on s'habitue au changement de l'environnement,
surtout s’il est silencieux et presqu’invisible, de sorte que progressivement
l'anormal devient normal. En trois générations, on ne se souvient plus que le
glacier descendait dans la vallée ou qu'il y avait une forêt sur la colline.
On ne se souvient plus pourquoi ni comment la guerre a été déclarée, ni
pourquoi les ennemis d’hier deviennent des amis de toujours avant de parfois
redevenir des ennemis jurés. On ne se souvient plus que le savoir était
l’unique clé de la liberté et que la liberté vaudra toujours plus qu’une
sécurité relative contre des dangers fabriqués. On ne se souvient plus de ce
que Cicéron disait d'un humaniste, ni quel commentaire Hannah Arendt en faisait.
La conclusion que j'aurais pu écrire
Pour terminer ce dernier article, l’idée farfelue me serait
venue de vous conseiller, non pas seulement d’apprendre à cultiver votre jardin
potager, mais aussi, (quelle idée !) de mettre à l’abri quelques livres
(beaucoup si vous le pouvez).
J’aurais justifié cette idée étrange par l’évocation de deux
livres de science-fiction "Un
cantique pour Leibowitz" et " Fahrenheit
451", tout en rappelant, à ma façon par trop souvent provocante, que
notre société parfaite a trouvé mieux que les pompiers brûleurs de livres de
Fahrenheit 451, avec un corps enseignant qui en seulement quelques années sait
si bien faire passer le goût de lire aux enfants…
Je vous aurais même conseillé la lecture de cet article
étonnant publié le 6 mars dernier sur le site Rue89 : "Une bibliothèque pour recréer une civilisation : quels
livres choisir ?". Sympa non ?
(Pensez aussi à un livre pour apprendre à lire)
Vous vous dites, je n’en doute pas, que j’ai bien fait de ne
pas écrire cet article, car il aurait été bien trop pessimiste, voire complètement délirant.
Ce à quoi je vous répondrai que je suis bien d’accord avec
vous !