mardi 26 novembre 2019

A propos du capitalisme et de l'histoire en transition



Ouh là ! Dans quoi je m'embarque !


Je parle de nulle part...

    Je suis un anonyme. Je ne parle de nulle part, d’aucune tribune médiatique ni d’aucune chaire universitaire. Ma voix n’a donc aucun poids et ce étant, elle n’en est que plus libre. Durant des années, alors que je perdais ma vie à la gagner, je n’ai cessé d’apprendre, lire, étudier, pour essayer de comprendre. Dans le cadre de mon travail, j’ai pu observer de nombreuses choses qui m’ont éclairé sur le niveau, disons d’imperfection, de notre société. J’ai dévoré des livres, parcouru des documents, pris des notes. Mon modeste site a servi à recueillir certaines de mes réflexions sur le sujet de la transition, qui me préoccupait tout particulièrement, et le moins que je puisse dire, c'est que ma perception du sujet a évolué au fil des années. J’écrivais mes articles quand je le pouvais, souvent la nuit, conscient de leur imperfection. A présent que je suis libéré de la machine infernale du travail, après 42 ans de bagne, je dispose d’un peu plus de temps pour consigner ici mes pensées. Mon but n’est pas d’éclairer le monde par la lumière de celles-ci. J’écris ici, comme pour me libérer d’un fardeau.     Si l’une ou l’un d’entre vous y trouve quelque chose qui puisse l’aider, j’en serai très sincèrement heureux. Car mon but, contrairement à d’autres, n’est pas de prêcher la haine d’une humanité coupable, ni d’appeler de mes vœux une apocalypse punitive, mais plutôt de vous redonner confiance en vous-même et en l’avenir.

Là où je fais part de mon étonnement.

    J’ai vu arriver dans mon boulot ces dernières années, une nouvelle génération d’ingénieurs, qui ignoraient tout des sciences de la terre et plus que tout de l’histoire de l’humanité. J’ai travaillé par exemple avec un jeune ingénieur antivaccins et végan, convaincu que manger un œuf était plus dangereux que de fumer 5 cigarettes, parce que Jim Carrey l’avait dit sur une vidéo de YouTube ! Il a fini par quitter la profession au bout de 2 ans pour pratiquer la médecine chinoise (c’est-à-dire soigner les gens avec de la poudre de corne de rhinocéros, entre autres). J’ai eu aussi une collègue ingénieur (devenue une amie chère) qui avait éclaté de rire un jour lorsque je lui avais dit qu’il y a 20.000 ans les glaciers recouvraient la France et que des pingouins se promenaient sur les rivages glacés de la Méditerranée !
    Quant à ce qui relevait de l’histoire en général, alors là, c’était la catastrophe. Tous n’étaient pas ainsi, mais les pauvres jeunes n’y étaient pour rien. Ils étaient les fruits d’un système éducatif malade, le même que celui qui a détruit mes malheureux enfants. Le bon côté de cela, c’est que ces gamins n’en n’étaient pas moins intelligents et curieux, et que la plupart ne demandaient qu’à apprendre. J’ai donc pris un grand plaisir, et eux aussi je pense, à discuter sur de nombreux sujets lors de mémorables repas de midi et à éveiller en eux, sinon la curiosité, du moins l’ombre d’un doute salutaire.
    Ce qui m’aura le plus étonné ces dernières années, c’est l’apparition de cette croyance en une planète figée, immuable sur le plan de ses espèces vivantes et de ses climats. Une planète qu’il faudrait préserver de tout changement pour lui éviter une mort certaine. Et pire que tout, ce qui m’aura le plus désolé, c’est cette haine grandissante, quasi religieuse, d’une humanité prétendument coupable d’une mort annoncée de la Terre. Il m’aura fallu longtemps avant de comprendre ce qui se cachait derrière cela et ça fera l’objet d’un prochain article.
    Je ne vous cache pas qu’il n’est pas toujours facile de tenir ma position. Les gens vous en veulent parfois vraiment beaucoup lorsque vous leur expliquez qu’ils ne sont pas coupables et qu’ils ne vont pas mourir dans une apocalypse climatique ! On risque même de très vite se faire détester dans les dîners en ville ou les commentaires sur Facebook, si l’on ose avancer quelques arguments historiques pour relativiser les peurs actuellement à la mode !

Ne pas lire ce paragraphe.
Pour illustrer mon propos quant à l’oubli de l’histoire, je pourrais évoquer les cris d’orfraie que j’ai souvent provoqués en rappelant les nombreux et violents changements climatiques du passé, tels que ma génération les avait appris à l'école. Autant ceux du passé lointain, avec la montée rapide des eaux à l’occasion de la fin de la dernière glaciation (élévation de 120 m du niveau de la Méditerranée qui se situaient 6 km plus loin des côtes actuelles de Marseille), que ceux du passé proche avec le refroidissement du 6e siècle qui fut une cause indirecte de la chute de l’empire romain (grosses migrations à travers l’Europe, mauvaises récoltes, etc.), ou alors l’optimum médiéval de 950 à 1350 qui permit, entre autre (quoi qu’en dise le Monde dans un article bien confus) au Viking Eric le Rouge de conquérir les riantes terres verdoyantes du Groenland en 982 (Source scientifique). Je pourrais même évoquer le petit âge glaciaire entre le 16e siècle et le 18e siècle, qui fut l’une des causes (indirecte bien sûr), de la Révolution française. Mais je n’en parlerai pas, cela fera l’objet d’un prochain article. Pour info, sachez malgré tout que nous nous situons entre deux périodes de glaciations : "les scientifiques ont démontré que les variations climatiques présentent des alternances de périodes glaciaires et interglaciaires selon un cycle d’environ 100 000 ans. Ils ont également démontré que les concentrations atmosphériques de CO2 ont évolué parallèlement aux températures, prouvant le lien qui existe entre ces deux facteurs." Quid de l'activité de la coupable humanité en ces époques reculées ? Source CNRS. Imaginez-vous que le réchauffement climatique actuel pourrait même avoir le mérite de reculer la venue inexorable de la prochaine glaciation : « Une tendance au refroidissement de la planète depuis le début de notre ère avait déjà été soulignée par des chercheurs, essentiellement par Darrell Kaufman, en 2009, qui a analysé l'air emprisonné au cours du temps dans les glaces de l’Arctique. Selon lui, la température de la Terre diminuait de 0,21 °C par millénaire depuis 2.000 ans avant que la révolution industrielle ne survienne. Jan Esper a confirmé cette tendance, mais le chiffre qu'il avance est beaucoup plus important : 0,31 °C par millénaire. ». Source. Je finirai probablement par écrire un article sur ce sujet suicidaire. Mais en attendant, laissons passer le défilé, comme beaucoup, je sais que la chasse au grand méchant CO2 est la meilleure idée que l’on ait jamais trouvée pour nous donner le temps de gérer l’inévitable épuisement des énergies fossiles. Alors vas-y Greta, ma chérie, continue à sonner le tocsin, les ingénieurs ont encore besoin d’un peu de temps pour préparer la suite. Par contre désolé pour la fin du monde, il faudra la remettre à beaucoup plus tard.


Bon alors ! Et le capitalisme ?

    Comme je suis un gars qui n’a peur de rien, sur la base de ma lecture de l'histoire, je vais poser une question encore plus dérangeante que celle du climat dans ce modeste article ! Croyez-moi, ce n’est pas toujours facile pour moi (Tout ça à cause de Nietzsche qui m’a appris à penser contre moi-même). Je vais parler du CAPITALISME !


Était-ce mieux avant le Capitalisme ?

    J’en viens au fait (enfin). Il y a peu de temps, sur la page Facebook de gens situés très très à gauche, j’ai lu l’article d’un gars, visiblement de bonne foi, qui regrettait le bon vieux temps d’avant le capitalisme, celui où tous les paysans étaient selon lui, heureux et autosuffisants. Inutile de vous dire que cette aimable fable est très répandue également chez mes amis écologistes. Donc, selon ces braves gens, le capitalisme serait non seulement responsable de la dégradation du climat, mais aussi de la dégradation du niveau de vie des gens. Cette idée semble même avoir tellement de succès que certains sympathiques mouvements de gauche rallient la lutte contre le changement climatique, genre convergence des luttes avec les écolos, ces derniers, en général, ne se préoccupant guère jusqu’à présent du sort des pauvres, du moins pas de ceux en bas de chez eux, (mais bon, pas de généralités).


Le moment où je me dis : « Ah bon ? »

    Me tournant alors mentalement vers les rayonnages de livres que j’ai lus et qui pèsent si lourd dans ma pauvre tête, je me suis dit : « Ah bon ? »

    J’ai laissé quelques neurones travailler le sujet en fond de tâche (comme on dit chez Microsoft), et peu à peu, quelques réflexions sur ledit sujet ont émergé progressivement de mon esprit confus. L’objet de cet article est donc de mettre tout cela un peu en forme et de vous le présenter, pour que de votre côté, vous travailliez aussi sur le sujet (en fond de tâche).


Il y avait quoi avant le capitalisme ? Quand a-t-il débuté ?


Réglage du curseur temporel


Trop loin

    On pourrait faire remonter le capitalisme à l’invention de la monnaie, mais les échanges commerciaux et l’accaparement des richesses ont existé avant la monnaie. Les tablettes assyriennes écrites en caractères cunéiformes servaient principalement à tenir la comptabilité des échanges de biens, récoltes, terres, etc. Eh oui, la monnaie est juste un outil pratique pour pallier les limites physiques du troc, et l’écriture est une invention de comptables, pas de poètes…


Moins loin

    Le capitalisme ne se résume pas à l’accaparement des richesses. Sa principale fonction est d’en créer. Ainsi les rois n’étaient pas capitalistes. Leur souci n’était pas de produire de la richesse nouvelle, mais d'accaparer la richesse existante. Les moyens d'accaparer ladite richesse étaient vieux comme le monde, pillages, guerres impôts, etc. Les nobles trouvaient même dégradant de travailler et regardaient avec mépris les roturiers qui s’échinaient pour gagner quelque argent.


On approche

    Il y avait bien dès le moyen âge une forme naissante de capitalisme, avec les banques qui prêtaient de l’argent aux rois, mais les rois, quand ils remboursaient, payaient avec de la richesse qu’ils avaient prise ailleurs, pas avec de la richesse qu’ils avaient produite. Seuls les quelques rares banquiers existants, principalement des Vénitiens et des Génois, produisaient de la richesse ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien, ou plutôt avec les intérêts…
    C’est en effet le principe du contrat de commenda maritime, qui domina le commerce de la Méditerranée médiévale et permit à quiconque le voulait, riche ou pauvre, de participer aux affaires. Ce contrat réunissait pour une seule aventure commerciale un bailleur de fonds et un voyageur. Le premier touchait les trois quarts du gain en cas de réussite, mais prenait à sa charge toute perte ; le voyageur risquait sa peine pour toucher un gain éventuel.
Voir ici : Marchand Génois.


Capitalisme : Etat versus Privé

    Nous venons de traverser une longue période où les Etats étaient tous puissants et nous redoutons à présent (pour de bonnes raisons) l’affaiblissement des desdits états et la montée en puissance des sociétés anonyme du privé. Nous avons oublié que par le passé, ce sont souvent des compagnies privées qui furent à l’origine de grandes découvertes ou inventions. Prenons l’exemple de l’Etat de Gêne, qui au contraire de celui de Venise, avait très peu de moyens. Il agissait donc par l’intermédiaire d’opérateurs privés, y compris pour faire la guerre (pensez aux 40% d’armée privée participant à la guerre d’Irak aux côtés de l’armée américaine). Lorsque la République de Gêne ne pouvait payer, elle concédait des revenus fiscaux. Ce fut là l’origine de la Casa San Giorgio, une sorte de banque publique fondée en 1407. Cette Casa fut même un temps propriétaire de la Corse !


Des grandes découvertes financées par le capitalisme ?

    Ce n’est pas la cour d’Espagne qui finança l’expédition de Christophe Colomb destinée à découvrir une nouvelle route vers les Indes, mais bien des banquiers génois installés à Séville, dans un accord commercial qui fut signé en avril 1492. En cas de succès de son expédition, il était convenu que Colomb serait anobli, porterait le titre de grand amiral de la mer océane, serait le vice-roi et gouverneur perpétuel des terres qu'il découvrirait, et de plus, il percevrait 10 % de toutes les richesses des terres qu'il gouvernerait au nom de l'Espagne.


Des guerres menées et financées par le capitalisme ?

    Ne croyez pas non plus que seuls les Etats décidaient des guerres ! Voyez pour exemple les deux guerres de l’opium qui eurent lien en Chine Depuis 1773, le Royaume-Uni disposait du monopole de la vente d'opium en Chine. Sous la pression de ses compagnies commerciales ; le Royaume-Uni chercha alors à affaiblir la Chine et la forcer à l'ouverture aux puissances étrangères. En 1800, la Chine interdit la culture du pavot pour réduire l'hégémonie du royaume britannique sur le marché chinois, mais le Royaume-Uni importe alors le pavot d'Inde pour continuer à alimenter le marché chinois. La première guerre de l'opium fut déclenchée lorsque la Chine interdit l'importation et la consommation d'opium en 1839.
  • La première guerre de l'opium se déroula de 1839 à 1842 et opposa la Chine au Royaume-Uni.
  • La seconde guerre de l'opium se déroula de 1856 à 1860 et vit cette fois l'intervention de la France, des États-Unis et de la Russie aux côtés du Royaume-Uni. Le nom par lequel est désignée cette guerre s’explique dans la mesure où elle peut être considérée comme le prolongement de la première guerre de l'opium.
    La Chine perdit les deux guerres, et fut contrainte d'autoriser le commerce de l’opium financé par la banque HSBC (non, vous ne rêvez pas), et de signer des traités inégaux, ayant pour conséquences l’ouverture de certains ports ainsi que l’abandon de Hong Kong à la Grande-Bretagne ! Plusieurs autres pays occidentaux en profitèrent pour signer des traités inégaux avec la Chine, forçant ainsi son ouverture au commerce. L’influence étrangère eut pour conséquence la Révolte des Boxers (1899-1901), et la chute de la dynastie Qing (1911). Étonnant non ? Des états manipulés par les banques et le commerce ?
Mais que croyiez-vous mes chers amis ? L’histoire officielle ? Celle validée par les ministères desdits états ?


Des révolutions menées par le capitalisme ?

L'exemple de la soi-disant guerre d’indépendance américaine.

    Pensez-vous vraiment que la guerre d’indépendance américaine a été menée seulement par des gens épris de liberté ? Vraiment ?
    Vous n’avez donc jamais entendu parler de la proclamation de 1763 par le roi de Grande Bretagne George III ? Cette proclamation royale fut délivrée le 7 octobre 1763 par le roi George III à la suite de l'acquisition par la Grande-Bretagne de territoires français, après la fin de la Guerre de Sept Ans. La proclamation avait pour but d'organiser les vastes et nouvelles terres britanniques de l'Amérique du Nord, et de stabiliser les relations avec les Amérindiens en réglementant la traite des fourrures, la colonisation et l'achat des terres à la frontière occidentale. La proclamation royale de 1763 avait aussi pour but d'assimiler les colons francophones, pour faire du Québec une vraie colonie britannique. Elle est également connue sous les appellations anglaises « Indian Bill of Rights » ou « Magna Carta for Indian affairs ».
Cette guerre de Sept Ans (1756-1763), connue pour ses combats en Amérique du Nord sous le nom de French and Indian War, avait opposé la Grande-Bretagne à la France et à l'Espagne et elle avait vidé les caisses de la Couronne britannique. À l'issue du conflit, la dette britannique liée à la guerre s'élevait à 317 000 000 £. Lord Jeffery Amherst, Commandant en chef des forces royales en Amérique du Nord, estimait à 10 000 le nombre de soldats nécessaire au maintien de la paix dans les territoires nouvellement acquis. Le gouvernement décida donc de garder dans les colonies une armée de plusieurs milliers d'hommes, dont le coût de maintien avoisinait les 300.000 £ annuels. Alors que les treize colonies étaient prospères, la Grande-Bretagne subissait une crise économique. Londres décida qu'une partie des frais de guerre et du maintien des troupes serait supportée par les colons américains.

    La proclamation royale de 1763 avait trois principaux objectifs : organiser l’empire colonial britannique en Amérique du Nord et pacifier les relations avec les Amérindiens surtout après la révolte de Pontiac afin d'éviter la spéculation foncière. La Proclamation visait à apaiser les craintes indiennes d’une arrivée massive de paysans blancs sur leurs territoires. « La Frontière » attirait les migrants en quête de terres comme les Écossais suivis par les Allemands. L'épuisement des sols à l'est des Appalaches et la pression démographique accentuèrent la faim de terre des colons.
La Proclamation de George III interdisait aux habitants des treize colonies de s’installer et d’acheter des terres à l’ouest des Appalaches. La Couronne se réservait une partie du bois américain ainsi que le monopole dans l’acquisition des terres indiennes ; elle garantissait la protection des peuples indiens. Londres avait prévu la construction de forts britanniques le long de la limite de colonisation ; ce dispositif devait permettre le respect de la Proclamation mais aussi favoriser le commerce des fourrures avec les Indiens. Le gouvernement britannique estimait que ces avant-postes assuraient la défense des treize colonies et que leur financement revenait donc aux colons.
    La Proclamation royale de 1763 souleva le mécontentement des colons américains qui s’étaient déjà implantés dans ces territoires indiens. Ils devaient rendre la terre et revenir dans les treize colonies.
    Alors oui, bien sûr, on vous raconte que les colons américains se sont révoltés contre les méchants anglais qui imposaient, entre autres, une insupportable taxe sur le thé. On vous présente la révolte de ces colons en 1775 comme un combat pour la liberté. Mais de quelle liberté s’agissait-il selon vous ? La liberté des esclaves dans les plantations ? La liberté des Indiens qui allaient ensuite subir un vrai génocide ? Non chers amis, la liberté dont il était question, c’était juste la liberté de commercer. Ah bon ? Vous êtes déçus ? Désolé.


La Révolution bourgeoise de 1789 !

    Allez ! Encore une petite sur ce thème, avant de vous emmener où j’en ai l’idée. Car il y a plus étonnant encore. Qui d’après vous, fut à l’origine de notre belle révolution française ? On vous dit que le Tiers Etat mît sur la touche les vilains privilégiés de la noblesse et du clergé lors des Etats Généraux de 1789. Etats Généraux convoqués par le roi Louis XVI afin de tenter de résoudre la crise financière de la France au bord de la banqueroute, (France principalement ruinée par le coûteux financement de la guerre d’indépendance américaine).
Lorsque l’on vous parle du Tiers Etat qui siégea à Versailles, n’imaginez pas les représentants des 95% de français qui vivaient dans la misère et que l’on représente dans les estampes de l’époque par un pauvre paysan en haillons ! Non, le Tiers Etat dont on parle, c’était la petite minorité de banquiers, d’industriels et de commerçants qui en avait assez de payer des impôts de plus en plus importants alors que la noblesse et le clergé en étaient exempts et surtout assez de n’avoir aucun pouvoir politique. Les plus généreux d’entre eux (il y en avait) étaient imprégnés de l’esprit des lumières et aspiraient effectivement à plus de tolérance dans les idées et les mœurs. Mais le vrai problème pour la majorité de ces honnêtes gens, ce n’était pas cela. Ce fut Barnave, un avocat du Dauphiné, client de la famille des banquiers Perrier, devenu député à l’assemblée nationale, qui résuma bien en une célèbre formule le pourquoi du renversement en marche : « Une nouvelle répartition des richesses, implique une nouvelle répartition des pouvoirs ».

    Je vous étonne ? Alors détaillons ensemble les événements qui se sont déroulés entre le 11 et le 15 juillet 1789.

11 Juillet 1789
Le roi et son entourage prenant peur de la mauvaise tournure que prennent les états généraux font rappeler l’armée sur Paris. Des camps militaires sont installés au Champs de Mars, à la plaine des Sablons, à la plaine Saint-Denis. Le garde des sceaux répond à l’Assemblée nationale inquiète que les troupes ne sont là que pour prévenir de nouveaux désordres.
Louis XVI renvoie Jacques Necker en grand secret et reconstitue le ministère avec le baron de Breteuil, conseiller de Marie-Antoinette, qui pense que Necker est un mou et qui veut recourir à la force : « Donnez-moi trois jours et, en trois jours, avec la force armée, je suis capable de remettre les choses en ordre. »
Camille Desmoulins, harangue la foule au Palais Royal, il porte une cocarde verte constituée d'une feuille arrachée à un arbre et agrafée à son chapeau. La couleur verte correspond à celle de la livré des gens de Necker. (C'est aussi la couleur du comte d'Artois, raison pour laquelle on l'abandonnera ensuite).
12 Juillet 1789
Ce dimanche, le régiment "Royal-Allemand" du prince de Lambesc charge la foule dans les jardins des Tuileries. A cette nouvelle, on sonne le tocsin, on réunit la population dans les églises pour l’enrôler et l’armer, à l’aide des armes prises dans les boutiques des armuriers. Les gens sans aveu sont écartés avec soin.
Le bruit court à Paris que la banqueroute va être déclarée, aussitôt les agents de change se réunissent et décident de fermer la Bourse en signe de protestation contre le renvoi de Necker.
De l’argent est répandu pour gagner les soldats. Des banquiers comme Etienne Delessert, Prévoteau, Coindre, Boscary, s’enrôlent avec leur personnel dans la garde bourgeoise en formation.
Le banquier François Louis Joseph de Laborde de Méréville, également colons ayant d’énormes avantages aux Antilles, s’intéresse à l’affaire, ainsi que le banquier suisse Perrégaux, ami de Necker.
Les banquiers veulent le retour de Necker, parce qu’avec lui, les rentes sont assurées.
Le Chapelier déclare à la tribune de l’Assemblée Nationale : « Les propriétés ne sont plus en sûreté. Seule la grande bourgeoisie peut remédier au malheur qui nous menace. »
Harangue de Camille Desmoulins au Palais-Royal qui annonce une nouvelle Saint-Barthélemy des patriotes.
Les bustes de Necker et du duc d’Orléans, provenant de chez Curtius (sorte de musée Grévin) sont promenés dans Paris. On fait fermer les spectacles.
13 Juillet 1789
La municipalité de Paris distribue des cocardes aux couleurs de la ville, rouge et bleu, afin que les patriotes se reconnaissent et se distinguent des fauteurs de complots que l'on craint tout particulièrement.
Aux Invalides, le matin, la population s'empare de 28.000 fusils et de quelques canons, mais de peu de munitions. Se rendant à l'Arsenal, le peuple apprend le transfert récent de la poudre et du salpêtre vers la Bastille toute proche.
Des Parisiens se présentent à l’hôtel de ville et demandent des fusils au prévôt des marchands, une sorte de maire, Jacques de Flesselles. 350 à 360 fusils entreposés à l’hôtel de ville sont donnés à la foule. Flesselles envoie la foule chez les Lazaristes. Il n’y a pas de fusils mais on y trouve du blé.
Des Parisiens vont au Garde-Meubles, qui était une sorte de musée où se trouvaient des armes historiques, hallebardes, cuirasses, etc.
Deux bateaux pleins de barils de poudre, sont repérés sur la Seine. C’est un prêtre, l’abbé Lefebvre qui organise la distribution par petits sachets de poudre aux gens (qui n’ont pas de fusils).
Un Comité permanent s’organise à l'Hôtel de Ville. Il est composé de 307 grands électeurs, dont le fermier général Lavoisier. Ce comité fait sonner le tocsin à toutes les paroisses pour assembler tous les districts et constituer une garde bourgeoise. Une légion sera créée par quartier dont elle portera le nom, ce qui fera 16 légions. Il est arrêté que 12 de ces légions seront composées de 4 bataillons et les 4 autres de 3 ; chaque bataillon sera composé de 4 compagnies et chaque compagnie de 200 hommes, ce qui composerait en totalité 48,000 hommes.) Ce chiffre de 48,000 hommes, correspond au 48,000 parisiens ayant le droit de vote, de par leurs revenus. Cette milice, constituée pour veiller sur la populace aura pour chef le marquis de la Salle.
Le curé de Saint-Etienne du Mont et trois autres curés conduisent eux-mêmes à l’Hôtel de Ville les assemblées de leurs districts pour s’enrôler. Les clercs du Palais s’enrégimentent également, ceux du Châtelet et les écoliers de l’université suivent l’exemple. La compagnie des Arquebusiers offre ses services et propose aux électeurs de se réunir à la Bourgeoisie.
Le banquier Pergaud (originaire de Neuchâtel) et le banquier Delessert originaire de Genève) distribuent des fusils aux gens qui passent devant chez eux.
L'agent de change Boscari (futur membre de l'assemblée législative) distribue des fusils.
Le soir, les électeurs distribuent 12.000 fusils et de la poudre qui venait de leur arriver et la garde s’établit de suite à 9h00.
La garde commence par s’emparer de toutes les barrières et arrête tous ceux qui veulent sortir de Paris. Courson rapporte que le Prince de Condé qui voulait sortir sous le nom de négociant est conduit à l’Hôtel de ville.
L’assemblée déclare que Necker et ses ministres emportent l’estime et les regrets de la Nation.
14 Juillet 1789
Dans la nuit du 13 au 14, le petit peuple de Paris incendie 40 octrois sur 54 du mur des fermiers généraux. Les fermiers généraux étaient des banquiers qui proposaient au roi de faire rentrer une partie des contributions. Ils avançaient l’argent et se remboursaient sur le dos du peuple. Toute marchandise qui pénètre dans Paris doit payer une taxe. Les fermiers généraux perçoivent une trentaine de millions dont ils reversent la moitié au roi. Henri Guillemin évoque l’apparition du « Quatrième états » (p46).
Ce jour du 14 juillet, le prix du pain a atteint 14 sous et demi, alors que le salaire d’un journalier est de 15 à 20 sous.
Le matin, conduite par l’abbé Lefebvre, une foule de 8 à 10,000 personnes se précipite aux Invalides pour prendre les armes qui y sont conservées - plus de 30,000 fusils et quelques canons. Le marquis de Sombreuil qui dirige les Invalides ne résiste pas et la saisie des fusils s’organise.
Les troupes de Besenval, stationnées tout près de là sur le Champs de Mars, n’interviennent pas. Il est probable que les troupes aient été achetées, peut-être par le Duc d’Orléans. Des mercenaires ont commencé à déserter des rangs de l’armée du roi.
Une foule d’environ 10.000 personnes se précipite sur la Bastille dans le but d’y trouver des armes pour se défendre d’un éventuel coup de force de Versailles. La Bastille est commandée par le gouverneur Launay qui dispose d’une faible garnison - 82 hommes, dont 32 Suisses, le reste étant constitué d’invalides.
La foule se présente à la Bastille et fait avertir le gouverneur qu'elle désire des fusils, celui-ci répond qu'il consent de les lui remettre et lorsqu'elle se présente pour aller les chercher, il fait baisser le pont-levis et fait arborer le pavillon blanc sur son rempart en signe de sentiments pacifiques. Mais dès qu'elle entre, il fait relever le pont-levis et fait tirer sur la foule.
Les assiégeants envoient chercher du canon à l'hôtel de ville.
Un petit nombre de gardes françaises intervient. Ce sont des soldats révoltés qui sont conduits par un singulier personnage que l’on retrouvera plus tard dans d’autres événements, un dénommé Hulin, en relation avec le banquier suisse Perrégaux (ami de Necker). Ils arrivent avec des canons.
Le siège est dirigé par un ingénieur qui conseille d'abord d'abattre une petite maison qui étant jointe à la forteresse, gêne les opérations. Comme il est impossible aux assiégés de plonger leur canon vers le pied du rempart, il conseille aux assiégeants d'y placer le leur et, comme pour l'appointer il faut presque le dresser verticalement, il les engage à creuser en terre, à le dresser, à le pointer, mais à ne tirer que lorsqu'il les en avertira. Les premiers coups de ce canon portent sur le canon des assiégés et le font taire entièrement.
Le peuple s'empare de la Bastille qui détenait un stock de poudre ainsi que sept prisonniers : 4 faussaires, un libertin, le marquis de Solages, et 2 fous, Whyte et Tavernier. Les Solages étaient une grande famille d’entrepreneurs des mines de Carmaux. Ce Solage suspecté de meurtre, et sa famille avait prié le roi de l’enfermer à la Bastille pour lui éviter la pendaison ou la décapitation.
Parmi les assaillants, 96 seront tués et 60 seront blessés.
Pendant les événements, à Versailles, le député Bancal des Issarts, monte à la tribune pour féliciter le comité permanent constitué la veille à Paris et déclare : « Il n’y a que la milice bourgeoise qui puisse nous sauver ! ».
La forteresse, placée sous le commandement d'un électeur de Paris, le citoyen Soulès, est vouée à une "démolition sans délai" confiée au patriote Palloy, entrepreneur fortuné du faubourg Saint-Antoine, qui invite quelques personnalités, La Fayette, Mirabeau, Beaumarchais, l'archevêque de Paris, aux premiers coups de pioches.
Madame de Staël, écrira dans ses « Considérations sur la révolution française » (1ère édition de 1818, tome 2, page 129) : « Tout faisait croire aux gens de la classe ouvrière que le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux. Ils se levèrent dans cet espoir insensé. »
Jacques de Flesselles, prévôt des marchands de Paris, accusé de trahison, est tué d'un coup de pistolet.
15 Juillet 1789
Dans la nuit du 14 au 15, le député du Tiers Etat, Dupont de Nemours se précipite auprès du roi et s’exclame : « Mais c’est épouvantable, il faut faire quelque chose, il faut que vous rappelliez Necker, la plèbe est en train de se soulever ! »
Au matin, le roi annonce devant l’assemblée qu’il a donné l’ordre de retirer les troupes de Paris.
La milice bourgeoise créée le 13 est placée sous le commandement du général de La Fayette et prend le nom de Garde nationale.
Lafayette décide que ne pourront entrer dans la garde nationale que ceux qui seront capable de se payer un uniforme dont le coût s’élève à 4 Louis !
Des patrouilles civiques se répandent dans Paris pour tenter de reprendre à la populace les fusils qui ont été saisis. Les fusils sont même rachetés pour 4 ou 5 Livres, c’est-à-dire de quoi vivre plusieurs jours.
Création par les districts parisiens des comités civils, qui correspondent quasiment aux arrondissements, dont le rôle est l'administration des affaires courantes et l'organisation de la vie quotidienne à Paris.

    Comprenez-vous mieux à présent qui a fait cette révolution ? Une révolution bourgeoise, dans laquelle le peuple ne fut qu’un instrument destiné à précipiter un peu le mouvement. Ce qui n’empêchera pas ledit peuple de prendre peu à peu conscience de son pouvoir et d’intervenir lui aussi dans le tourbillon que fut la Révolution.
    Avez-vous entendu parler de la seconde Révolution ? Celle du 10 Août 1792, lorsque le peuple chassa enfin le roi et que ses représentants instaurèrent la 1ère République le 22 septembre 1792 au lendemain de la victoire de Valmy.
    Mais rassurez-vous, le "mauvais" tournant démocratique et populaire de la Révolution sera écrasé dans le sang par la bourgeoisie thermidorienne en juillet 1794. Et depuis plus de 200 ans, ceux qui ont écrasé cette Révolution vous ont bien appris à pleurer sur les malheurs des riches nobles et bourgeois…


Revenons à nos moutons

    Mais revenons plutôt à nos moutons, comme disait Marie Antoinette au Trianon.
Comme à mon habitude, j’ai quelque peu digressé. Mais ce n’est pas si grave que cela, parce que cela contribue à planter le décor.
    Vous avez commencé à comprendre comment, et surtout quand, le capitalisme tel que nous le concevons à présent, avait commencer de « conquérir » le monde.
    Mais la question initiale était la suivante : « Était-ce vraiment mieux avant ? Avant le grand méchant capitalisme ? »
    Dans le bon vieux temps d’avant les révolutions, la vie des paysans était-elle aussi idyllique que sur les charmantes scènes champêtres représentées sur les tapisseries royales des Gobelins ou les jolies toiles de Jouy ?


    Des bergers rieurs et joufflus jouant du pipeau au milieu de blancs moutons et de jolies paysannes dodues en jupons blancs et des décolletés ravissants ? Une France paysanne de rêve comme celle que l’on vous vend au Puys du Fou ? Une population choyée par son roi comme le sympathique Stéphane Bern et le sinistre Lorant Deutsche vous le racontent le soir avant de vous endormir ?
Bah, en fait, non, c’était même pire. A un point que vous n’oseriez même pas imaginer !


Fin des contes de fées

    Pour vous décrire cette France d’avant les révolutions, j’avais l’embarras du choix. J’aurais pu vous citer des extraits édifiants des voyages d’Arthur Young, ce sympathique agronome anglais qui sillonna la France en long en large et en travers de 1787 à 1792. Mais vous auriez pu dire que le tableau effarant qu’il dressait de la misère du pays tenait à son chauvinisme anglais.
    Alors j’ai cherché encore, et puis j’ai repensé aux terribles témoignages du comte d’Argenson que j’avais lus dans un livre oublié, un ouvrage publié en 1906 par un dénommé Marius Roustan, professeur, historien, journaliste, ministre puis sénateur sous la 3ème République. Ce livre s’intitule « Les philosophes et la société française au XVIIIe siècle ». Il est téléchargeable ici.
    Je vous ai choisi les passage suivants, extrait de l’édition de 1906. J’y ai ajouté, en vert, des variantes trouvées dans la réédition de 1970. Oui, je sais, ça fait beaucoup de lecture. Mais comment croyez-vous que l’on puisse construire sa pensée en faisant fi de celles de ceux qui nous ont précédés ?

L'ancien régime dans toute son atroce misère...
"Avant de parler du paysan au XVIIIe siècle, je répéterai avec beaucoup plus d'à-propos ce que j'avançais déjà pour l'ouvrier. Je crains que, sous prétexte d'éviter la déclamation ou l'exagération de certains historiens, on tende à s'éloigner de la vérité historique. On nous demande, il est vrai, d'établir une distinction. De 1690 à 1750 on est bien forcé de reconnaître que le travailleur des champs a été plus misérable qu'à aucune autre époque de notre histoire. Le tableau vigoureux que nous a laissé la Bruyère est même au-dessous de la vérité. Vauban est là pour faire évanouir les scrupules de ceux qui hésiteraient à parler comme les détracteurs les plus passionnés de l'ancien régime. La correspondance des contrôleurs généraux de 1683 à 1698 nous apporte à son tour une vérification qui nous enlève le moindre doute. Au milieu du siècle les témoignages irréfutables abondent. Massillon écrit à Fleury une lettre où il dépeint « ce peuple de nos campagnes qui vit dans une misère affreuse, sans lits, sans meubles », et après un exposé douloureux de ces abominables souffrances, il compare le sort des nègres de nos colonies à celui des cultivateurs de notre France, et il conclut que les plus infortunés, ce sont ces derniers. Mme Roland dira plus tard que les paysans français sont « misérables cent fois plus que les Caraïbes, les Groenlandais ou les Esquimaux. En 1739, d'Argenson nous fait voir « en pleine paix, avec les apparences d'une récolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes mourants, dru comme mouches, de pauvreté et broutant l'herbe... Le duc d'Orléans, ajoute-t-il, porta dernièrement au Conseil un morceau de pain de fougères que nous lui avions procuré. A l'ouverture de la séance, il le posa sur la table du roi disant : Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent ! » C’était du « pain sans farine ». En temps normal, le pain noir du paysan n’est pas meilleur que celui de l’ouvrier, et il est plus dur ; à la ville, on chauffe le four au moins une fois par mois : à la campagne, on le chauffe parfois beaucoup moins souvent : le montagnard du Dauphiné fait au mois d’octobre du pain pour tout son hiver ; on nous dit qu’il était obligé d’entamer son pain à coups de hache. D’Argenson raconte qu’un dimanche, le roi allant à Choisy par Issy pour y visiter le cardinal, le peuple s'amasse dans le faubourg Saint-Victor et crie non plus : Vive le roi ! mais : Misère ! famine ! du pain ! Les mêmes sanglots sont entendus dans les villages : « Il est positif, remarque d'Argenson, qu'il est mort plus de Français de misère depuis deux ans que n'en ont tué toutes les guerres depuis Louis XIV. » La détresse croît durant les années suivantes. En 1760, les victimes tombent de plus belle ; on affirme à d'Argenson, alors en Touraine, que « la diminution des habitants va à plus d'un tiers. » « Je n'y vois qu'une misère effroyable, déclare-t-il ; ce n'est plus le sentiment triste de la misère, c'est le désespoir qui possède les pauvres habitants : ils ne souhaitent que la mort et évitent de peupler. » Quand, dans la paroisse où se trouve le marquis, on excite garçons et filles à se marier, « ils répondent tous la même chose, que ce n'est pas la peine de faire des malheureux comme eux ». En vain d'Argenson leur promet de les assister ; il constate toujours le même raisonnement « comme si tous s'étaient donné le mot ». Les désertions se multiplient, les émeutes sont fréquentes, et les répressions sont inutiles ; la faim est plus forte que tout.
Cela est juste, nous dit-on ; mais après 1750, le prix de toutes les denrées augmente, sous l'influence d'une production considérable des mines d'argent du Mexique, et même de 1700 à la fin du XVIIIe siècle la valeur des propriétés a doublé. J'ignore à quel raisonnement économique on est conduit par cette constatation, mais il me semble que rien ne prévaudra contre le réquisitoire accablant dressé par Taine dans le cinquième Livre des Origines de la France Contemporaine (l'Ancien Régime) : réquisitoire composé avec des fragments de pièces authentiques, correspondances administratives des trente dernières années qui précèdent la Révolution, procès-verbaux des Assemblées provinciales, extraits des Archives nationales, lettres des intendants, comptes officiels, mémoires, journaux et correspondances des contemporains. J'y renverrai le lecteur.
Mais, puisqu'on nous propose cette date de 1750 comme point de division, il nous suffira de rappeler que les séditions et les émeutes pour le pain sont loin de diminuer dans la deuxième moitié du siècle. Dans la Normandie seulement, les séditions de 1752, 1764, 1765, 1766, 1767, 1768 sont restées célèbres ; le pays tout entier est désolé par ces révoltes, souvent sanglantes, et il n'est pas d'année qui ne soit marquée par plusieurs émeutes dans les provinces, en même temps qu'à Paris. Qu'importait pour le pauvre de la campagne une amélioration dans la situation du gros propriétaire, et même du moyen propriétaire ? Déjà en 1739, on essayait de calmer de légitimes impatiences en disant que la saison était belle, et que la récolte promettait beaucoup :
« Je demande, répliquait d'Argenson, ce que la récolte donnera aux pauvres. Les blés sont-ils à eux ? La récolte appartient aux riches fermiers qui, eux-mêmes, dès qu'ils recueillent, sont accablés de leurs maîtres, de leurs créanciers, des receveurs de deniers royaux, qui n'ont suspendu leurs poursuites que pour les reprendre avec plus de dureté. »
Même quand le pain n'est pas en hausse, la journée étant de 19 sous en moyenne (chiffre approximatif), comment le travailleur peut-il se nourrir décemment ? Le pain de froment vaut, dans le temps normal, 3 à 4 sous la livre, et, suivant le calcul de Taine, le travail annuel de l'ouvrier rural pouvait lui procurer 959 litres de blé au lieu de 1851 comme aujourd'hui ; son bien-être se serait accru depuis, de 93 pour 100, celui d'un maître valet de 70 pour 100, celui d'un seigneur de 125 pour 100. Ces chiffres nous donnent une idée du malaise de cette époque. Aussi la plupart des paysans ne mangent-ils que du maïs, de la mixture, de l'avoine, du sarrasin, des châtaignes (la pomme de terre est à peine connue). Ne parlons pas de viande de boucherie. La maison du paysan est un taudis en pisé, sans fenêtre, avec pour plancher la terre battue ; c'est là qu'ils se réfugient, « faibles, exténués, de petite stature, » ces campagnards du bon vieux temps, déguenillés, vêtus souvent de haillons de toile au gros de l'hiver, n'ayant parfois ni bas, ni souliers ou sabots, portant ailleurs des sandales, souliers de cordes ou courroies.
Variante du texte précédent dans la réédition Slatkine reprints, Genève 1970 :
Même quand le pain n'est pas en hausse, comment le travailleur peut-il se nourrir décemment ? Au temps de Louis XI, le salaire d’un journalier des champs était de 3 fr 60 par jour et celui d’une journalière de 2 fr 30 sans nourriture ; au temps de Colbert, il est pour le journalier de 1 fr 60 ; s’il remonte un instant sous le ministère de Fleury, il redescend de nouveau et devient de 1 fr 64, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il y a des journaliers qui gagnent avec la nourriture 63 centimes, d’autres 51, des journalières qui gagnent 28 centimes. Trop heureux encore sont ceux qui trouvent de la besogne ! Les chômages sont réguliers dans la morte saison, et très fréquent le reste de l’année. De plus, le paysan du moyen âge avait dans les « droits d’usage et de vaine pâture » des ressources précieuses qui lui permettaient d’échapper à la misère ; à mesure que la propriété collective rurale disparait, ces droits sont abolis et la détresse devient de plus en plus grande. Aussi peut-on s’imaginer quel est l’ordinaire du paysan du XVIIe siècle. Pas de viande ; depuis le moyen âge la viande a régulièrement renchéri, et c’est fête exceptionnelle que celle où l’on peut « manger chaire ». Pas de vin : « Sur 1000 habitants de mon village, déclare un curé de Picardie, je suis convaincu que 950 n’ont jamais bu de vin. » La pomme de terre ne se répand comme aliment pour l’homme qu’à la fin du siècle. Restent les pois, fèves, haricots, lentilles ; les légumes sont plus chers que de nos jours, le beurre et le lait aussi, le sel atteint des prix exorbitants. Quant à la maison du paysan, c’est un taudis en pisé, sans fenêtre, avec pour plancher de la terre battue ; c’est là qu’ils se réfugient, « faibles, exténués, de petite stature », ces campagnards du bon vieux temps, déguenillés, vêtus souvent de haillons de toile au gros de l’hiver, n’ayant parfois ni bas ni souliers ou sabots, portant ailleurs des sandales, souliers de cordes ou courroies.
Ne nous fions pas à ces tableaux idylliques, peints par des gens intéressés à faire croire que tout est bien, ou décidés d'avance à nous représenter des pastels dignes de Virgile ou de Florian.
Que de peintures, devons-nous dire : naïves ? de réjouissances populaires, de bourrées au son de la musette, de danses aux accords des hautbois, de rondes aux accords des violons ! « Le Français, écrit l'auteur de l’Anti-Financier, se livre à la joie dans le sein de la misère. » C'est entendu, mais le misérable qui a festoyé de nos jours lors de la fête nationale, se réveille le lendemain plus misérable encore : il a dépensé les quatre sous qui lui restaient pour acheter du pain, et il a mal à la tête. A ces peintures arcadiennes opposez le tableau réaliste de la fête votive du Mont-Dore que nous présentent les Mémoires de Mirabeau :
« Les sauvages descendant en torrent de la montagne, le curé avec étole et surplis, la justice en perruque, la maréchaussée, le sabre à la main, gardant la place avant de permettre aux musettes de commencer la danse interrompue un quart d'heure après par la bataille, les cris et les sifflements des enfants, des débiles et autres assistants, les agaçant comme fait la canaille quand les chiens se battent, des hommes affreux, ou plutôt des bêtes fauves, couverts de sayons de grosse laine, avec de larges ceintures de cuir piquées de clous de cuivre, d'une taille gigantesque rehaussée par de hauts sabots, s'élevant encore pour regarder le combat, trépignant avec progression, se frottant les flancs avec les coudes, la figure hâve et couverte de leurs longs cheveux gras, le haut du visage pâlissant et le bas se déchirant pour ébaucher un rire cruel et une sorte d'impatience féroce... »
Oh ! comme nous sommes loin du pâtre de Sicile qui chante Bombyca, la délicate enfant, blonde comme le miel, et du berger des rives du Mincio qui apprend aux forêts à redire le nom de la gracieuse Amaryllis ! Comme nous sommes près des animaux farouches, mâles et femelles, répandus par la campagne, dans les dernières années du XVIIe siècle, comme nous sommes dans la vivante et saisissante réalité !
Je le sais, il y a plus d'un témoignage qui nous présente la France du XVIIIe siècle comme un pays de cocagne. Déjà en 1658, Melle de Montpensier nous affirmait que les paysans de la Dombe mangeaient de la viande quatre fois par jour. Ils avaient beau ne pas payer la taille, je ne me résous pas à croire les Mémoires sur parole. En 1728, un écrivain nous dit : « On ne saurait croire combien les paysans sont heureux maintenant... qu'un chacun mange en repos sans crainte d'être maltraité de personne. » Ne pas craindre son voisin est, en effet, une condition pour bien digérer, mais encore faut-il avoir de quoi manger ! Lady Montague déclare en 1739 : « Les villages sont peuplés de paysans forts et joufflus, vêtus de bons habits et de linge propre. On ne peut imaginer quel air d'abondance et de contentement est répandu dans tout le royaume ». En 1739 ! Lady Montague n'a pas de chance ! C'est précisément l'année où d'Argenson nous a exposé d'un bout à l'autre les misères de notre pays, peut-être plus terribles que durant le reste du siècle. Walpole écrit en 1765, à propos d'un voyage dans l'Artois : « Les moindres villages ont un air de prospérité et les sabots ont disparu ». Il s'agit de savoir s'ils avaient été remplacés. Quand serons-nous moins crédules pour les impressions de voyage ? D'une façon plus générale, n'avons-nous pas le droit, en présence des documents de premier ordre que nous possédons, de refuser toute confiance à ceux qui s'évertuent à nous prouver que le paysan pouvait louer Dieu de toutes choses ? Quand tout le monde, même à la Cour, est ému, en 1730, de l'état des campagnes, pensez- vous qu'il n'y ait pas des gens pour trouver que tout ne va pas si mal ?
« Cependant, écrit d'Argenson, M. Orry vante l'aisance où se trouve le royaume, la régularité des paiements, l'abondance de l'argent dans Paris, et qui assure, selon lui, le crédit royal. » Six ans plus tard, lorsque d'Argenson est apitoyé sur les pauvres gens qu'il voit « périr de misère » dans sa paroisse, il entend de ses propres oreilles « un élu qui est venu dans le village où est sa maison de campagne, et qui dit que cette paroisse devait être fort augmentée à la taille de cette année, qu'il y avait remarqué les paysans plus gras qu'ailleurs, qu'il avait vu sur le pas des portes des plumages de volaille, qu'on y faisait donc bonne chère, qu'on y était bien... ».
On va dire que le paysan trompait son seigneur et le collecteur d'impôts, et qu'il s'évertuait à paraître plus dénué de tout qu'il ne l'était réellement. Mais d'Argenson n'avait pas été dupé lorsqu’il avait assisté à l'arrivée des huissiers et des collecteurs, suivis de serruriers, « ouvrant les portes, enlevant les meubles et vendant tout pour le quart de ce qu'il vaut », au départ des journaliers pour la corvée, à l'écroulement des maisons qu'on ne relève pas, à l'exode des manouvriers vers les petites villes ; il avait bien vu, de ses propres yeux vus, ces trente garçons et filles qui refusaient absolument de se marier, etc.... Méfiez-vous, dit-on encore, des cahiers des Etats généraux ! On avait demandé aux paysans de rédiger des doléances, ils rédigeaient des doléances ; ils cherchaient par tous les moyens à se rendre intéressants. D'abord, il y a dans un certain nombre de cahiers des plaintes si déchirantes que leur sincérité ne fait aucun doute, et puis nous avons encore une fois des vérifications faciles. Il semble même qu'à cette époque certains intendants devinent que leurs rapports seront taxés d'exagération. L'intendant d'Orléans expose qu’« en Sologne de pauvres veuves ont brûlé leurs bois de lit, d'autres leurs arbres de fruitiers » pour se préserver du froid, et il ajoute : « Rien n'est exagéré dans ce tableau, le cri du besoin ne peut se rendre, il faut voir de près la misère des campagnes pour s'en faire une idée. »
Rien n’est exagéré, ce sont les intendants qui l'affirment, et si l'on veut que nous n'adoptions pas sans contrôle les rapports des intendants, je le veux aussi, et, quand j'ai contrôlé leurs affirmations, je suis bien forcé d'ajouter foi aux faits qu'ils consignent, si invraisemblables qu'ils soient au premier abord.
Je ne suis pas non plus d'avis que la classe rurale était moins malheureuse au XVIIIe siècle qu'autrefois, parce que le nombre des petits propriétaires avait augmenté. Nous sommes revenus aujourd'hui des espérances illusoires que nos pères avaient placées dans le développement de la petite propriété paysanne. Le cultivateur qui a un lopin de terre trop petit pour vivre et qui doit travailler les champs des voisins, est-il vraiment plus fortuné que l'ouvrier ? Il a, en plus, des soucis et des dettes ; c'est le plus clair de ses avantages. Ajoutons que, pour qu'un champ devienne fertile, il faut avancer bien de l'argent ; cela sera d'autant plus vrai à mesure que l'agriculture sera forcée de s'organiser suivant le mode industriel. Surtout, n'oublions pas qu'une des causes principales de la misère pour le paysan de l'ancienne France, c'est la multitude des impôts énormes, iniques, de toute nature, qui pèsent sur ses seules épaules. Or, le manouvrier peut encore ruser avec le fisc ; celui qui a des biens au soleil n'échappe pas aux exigences multiples des collecteurs. Un paysan arrive à dissimuler des vivres, comme celui dont nous parle Rousseau ; le sol qu'il travaille et qu'il arrose de ses sueurs ne saurait être soustrait aux charges. Taine calcule que la taille et la capitation passent de 66 millions en 1716, à 93 en 1759, à 110 en 1789, et que l'impôt passe de 283.156.000 livres en 1707, à 476.294.000 en 1789. Le petit propriétaire paie pour la plus grande partie la différence. Il lui eût mieux valu se donner moins de tracas, moins de peine pour arriver au même résultat : c'est-à-dire pour manquer de pain.
La preuve indiscutable de la misère qui désole également la ville et la campagne, c'est l'accroissement formidable des mendiants. Certes, la mendicité est une des plaies constantes de l'ancien régime ; profession légalement reconnue au moyen âge, l'état de mendiant est un état comme un autre ; mais, à partir de la fin du XVIIe siècle, le corps social étant plus malade, ces parasites se développent et pullulent à qui mieux mieux. En 1739, d'Argenson nous raconte qu'ils sont des milliers :
Un conseiller, qui vient de faire un séjour de deux mois dans le Perche, où sont situées ses terres, m'a dit n'y avoir vu qu'un tas de coquins qui ne veulent point travailler et que l'on perd en leur faisant l'aumône. Il a persuadé tout de bon au ministère, que c'est une habitude de paresse qui corrompt les mœurs des provinces. C'est ainsi que j'ai entendu accuser de pauvres enfants sur lesquels opérait un chirurgien, d'avoir la mauvaise habitude d'être criards.
D'Argenson, du moins, ne se fait aucune illusion sur l'efficacité des mesures si nombreuses prises au XVIIIe siècle contre la mendicité. Malgré les édits les plus sévères, les rafles répétées, malgré les efforts de la charité officielle et privée, la quantité de mendiants valides devient de plus en plus considérable. Le mal est trop profond pour être même allégé par des moyens empiriques. La société a besoin d'un sang nouveau ; l'ancien est trop vicié pour que ces dartres disparaissent. A Paris, le recensement de 1791 comptera 118.784 indigents sur 650.000 habitants ; à Lyon, où les institutions de bienfaisance ont toujours eu une floraison si remarquable, 30.000 ouvriers attendent leur subsistance de la charité publique, en 1787 ; sur 900 paroissiens à Saint-Malo, 225 sont des miséreux. Mercier qui nous peint le peuple « mou, pâle, petit, rabougri », a vu les vagabonds, à la porte des couvents, présentant chacun leur écuelle au moine qui porte la soupe, et se jetant sur cette pitance comme des chiens affamés ; véritables chiens de ruisseau en effet, que les voitures écrasent, que les soldats du guet, les « tristes à patte », dispersent à coups de pied et à coups de poing-, et qui s'éloignent en hurlant pour se réunir au coin de la rue voisine. Il y a de tout dans ces fainéants dangereux, des repris de justice de toute marque et de tout calibre, prêts à se transformer en assassins et en émeutiers. A la campagne, ils sont plus dangereux encore : là, les chiens deviennent loups. Contrebandiers à leurs heures ou faux-sauniers, ils tuent, pillent, rançonnent. La maréchaussée, avec ses 3756 hommes, est toujours sur les dents. Ils renouvellent les exploits des voleurs du moyen âge, et torturent leurs victimes pour leur faire avouer où elles ont caché leurs écus. Ils lèvent de nouveaux impôts sur le fermier, et se présentent après le collecteur pour s'emparer du morceau de pain qui peut rester. On en prend jusqu'à 5o.ooo en une fois (1767), et, quand il y a de la place dans les dépôts ou les maisons de force, on les y engloutit par centaines, quelquefois pêle-mêle avec de pauvres diables qui n'ont aucun droit à cet honneur. Mais le logement ne suffit pas ; il faut de l'argent pour nourrir cette engeance ; ils coûtent au roi cinq sous par tête et par jour, de quoi renouveler leur paille, leur eau, leur pain et leur graisse salée. L'opération achevée, c'est comme si on n'avait rien fait. La diminution du nombre des bandits n'est pas sensible. On lit dans la correspondance de Voltaire :
« La mendicité vient d'être défendue en France ; les maréchaussées ont des ordres sévères à cet égard ; cependant je vois une foule de mendiants sous mes yeux mettre impunément à contribution les villes et les campagnes, et faire parade de leur oisiveté comme d'une vertu. Est-ce pour les favoriser qu'on enlève les véritables pauvres ? »
Les mêmes plaintes sont sans cesse répétées. On finit par ne plus prendre au sérieux ni les édits ni les mesures qui les suivent, et, après l'expulsion des mendiants qui a lieu en 1764, un Monsieur Nogaret écrit une « Lettre d'un mendiant au Public », une plaisanterie qui a du succès. Le Parlement de Bretagne se plaindra que « les villes soient tellement peuplées de mendiants qu'il semble que tous les projets formés pour bannir la mendicité n'ont fait que l'accroître ». Tous ceux qu'on relâche, après leur avoir fait promettre de travailler, recommencent leur vie de fainéant. Le « mendiant de race », suivant le mot de Mercier, ne veut pas faire autre chose.
Le voudrait-il que l'état de la société ne lui permettrait pas de se réhabiliter. La vérité est dans cette phrase des procès-verbaux d'une Assemblée provinciale '' : « Excessive en elle-même, la misère des campagnes l'est encore dans les désastres qu'elle entraîne ; il ne faut point chercher ailleurs la source effrayante de la mendicité et de tous les vices. » Dans ce beau pays d'Artois, où Walpole a admiré le spectacle de la félicité publique, « sur 130 maisons, 60 sont sur la table des pauvres » ; là où la moitié des habitants implorent la charité pour vivre, quel système pourrait venir à bout des mendiants de profession ? Arrivent les bourrasques populaires, et ces meurt-de-faim précéderont les ouvriers et les paysans ; habitués aux rencontres avec les soldats du guet et la maréchaussée, moins soucieux d'une existence qu'ils ont exposée si souvent, les chiens et les loups se précipiteront sans quartier, sans merci, seront massacreurs ou massacrés. La faute en est à l'ancien régime : « Toutes les institutions, écrit Taine, semblent d'accord pour multiplier ou tolérer les fauteurs de désordre, et pour préparer, hors de l'enceinte sociale, les hommes d'exécution qui viendront la forcer. »


Ça calme non ?

    Un peu différent du révisionnisme historique nostalgique du Puys du Fou, des émissions sur l’histoire de France façon Disney de l’amusant Stefan Bern et des brûlots haineux du sinistre Lorant Deutsch, non ?

    Maintenant c’est clair, non ? Ce n’était pas mieux avant, et comme dirait Nietzsche : « Ce n’est ni bien ni mal ».

    Le capitalisme n’est qu’un mode de fonctionnement des sociétés parmi d’autres. Une réalité imaginaire, selon l’expression de Yuval Noah Harari. Un concept sur lequel tout le monde fait semblant de croire. Arrêtez de faire semblant d’y croire, et tout s’effondrera. C’est d’ailleurs là une des grandes terreurs du capitalisme, le fait que les gens cessent un jour de faire confiance aux banques. Ce concept compliqué, qui fabrique de la richesse bien souvent à partir de rien, a longtemps fonctionné tant bien que mal, faisant avancer à marche forcée la machine infernale de la société, bien souvent dans la douleur. Son principal atout, semblait être sa capacité d’adaptation. Quand il s’est senti fragile après la seconde guerre mondiale, avec en face de lui son frère ennemi productiviste, le communisme, il a même fait un moment du social. Il pourrait même finir par faire vraiment de l’écologie, si comme n’importe quel organisme pas trop stupide, il comprenait à quel point l’environnement a gravement changé et que s’il ne s’y adapte pas, il disparaitra. Son principal problème, c’est qu’il n’a plus d’adversaire. Il n’a jamais aussi bien fonctionné que dans l’adversité. Quand on a un adversaire de taille, on est obligé de se remettre en question sans cesse, de s’améliorer, de se renouveler. Un roi qui a exterminé tous ses ennemis devient un gros poussah avachi dans son luxe qui peu à peu le ramolli et l’étouffe.


Je ne suis pas assez intelligent

    Je ne suis pas assez intelligent pour comprendre comment tout cela évoluera. Mais une chose est sûre pour moi, l’humanité continuera d’évoluer et toujours elle inventera des concepts plus ou moins fumeux auxquels les gens croiront plus que moins, parce qu’ils ont besoin de croire à des trucs pour pouvoir donner du sens à ce qui n’en n’a pas.

  L’histoire aussi, est une réalité imaginaire. Il y a autant de façons d’interpréter les événements du passé qu’il y a d’historiens. Le principe de conformité fait que la majorité des historiens préfère se mettre d’accord sur une même version afin de donner plus de poids à celle-ci et aussi pour plaire un pouvoir en place. Mais avouez que vous y avez cru, vous aussi, aux gentils colons américains voulant se libérer du joug des méchants anglais qui avaient la mauvaise idée de vouloir respecter les traités passés avec les Indiens et pire, abolir l’esclavage !

    Actuellement, ça part dans tous les sens. Difficile d’imaginer la nouvelle direction que va prendre l’histoire. De nouveaux paramètres interviennent dans le cours de celle-ci, comme les Intelligences Artificielles, par exemple. On dirait que plus les humains répugnent à penser par eux-mêmes, plus ils sont disposés à abandonner cette besogne à des machines ; ce qui n’aurait pas étonné l’écrivain de SF Philip K. Dick avec ses androïdes qui devenaient plus humains à mesure que les hommes devenaient des machines.

    Mais une chose est certaine selon moi, au risque de désoler nombre de mes amis écologistes, l’humanité ne se sauvera pas en vivant dans des maisons de Hobbits au milieu de jardins en permaculture (sauf si l’on prend le verbe sauver au sens de fuite). La nature n’a jamais été un paradis pour l’homme, mais un milieu cruel auquel il fallait s’adapter pour survivre.


L’avenir ne nous plaira pas,

    L’avenir ne nous plaira pas, mais c’est normal, ce ne sera pas le nôtre, nous n’y seront pas adaptés et de toute façon nous n’y serons pas.


L’homme est-il si méchant ?

    Posez-vous la question de ce que serait une civilisation mondiale dominée par les lions au lieu des hommes. Pensez-vous que ceux-ci (exclusivement carnivores) auraient un souci plus aiguisé des autres espèces et de l’environnement, que nous autres primates omnivores ? N’importe quelle espèce qui occupe un milieu naturel sans avoir de prédateurs, finit par saturer ledit milieux et le détruire, avant de se détruire elle-même. Mais les hommes n’ont plus de prédateurs naturels, me rétorquerez-vous ! Hélas ou heureusement si bien sûr, il s'agit d'eux-mêmes ! Comme le disait Plaute, l’auteur comique latin, dans sa comédie Asinaria (La Comédie des Ânes, vers 195 av. J.-C) : « Homo homini lupus est ». L’homme est un loup pour l’homme. Nous sommes nos propres prédateurs…

    Loin de moi l’idée de justifier notre prétendue méchanceté. Je n’aime d’ailleurs pas le terme de méchanceté qui sous-entend un jugement de valeur. Le renard ivre de sang qui massacre tout un poulailler pour n’emporter qu’une poule déchiquetée, est-il méchant ? Ou réagit-il, comme n’importe quel être vivant à des stimuli ou à des algorithmes biologiques, hérités de la longue évolution de ses ancêtres ?

    Contrairement à la plupart des autres espèces animales, accablées par le déterminisme de leur instinct, l’homme a développé la possibilité de pouvoir ressentir ce que ressent l’autre (l’empathie), mais aussi la possibilité, plus difficile à acquérir je vous le concède, de pouvoir penser contre lui-même. Raison pour laquelle, la violence, l’injustice et la mort qui semblaient tellement inhérentes au monde pour nos ancêtres, deviennent de moins en moins acceptables à la génération présente et deviendront bientôt de plus en plus insupportables pour les générations qui viennent. Ce n’est ni bien ni mal. L’environnement change et nos comportements s’adaptent. La violence contre le milieu naturel qui a assuré notre survie durant des millénaires n’est plus adaptée. Le temps est venu de protéger ledit milieu naturel ou plutôt ce qu’il en reste. Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, il n’y a pas plus de violence et d’injustice de nos jours, qu’il y en avait autrefois. L’impression d’augmentation de ces fléaux provient du fait que plus que jamais dans toute l’histoire de l’humanité, nous en sommes informés. Nos ancêtres ignoraient absolument tout des méfaits perpétrés à l’autre bout de la terre, pas nous ! L’effet secondaire et bénéfique de cette saturation d’informations négatives, c’est que peu à peu, toute cette violence et toutes ces injustices nous deviennent de plus en plus insupportables. Et ça, c’est plutôt bien non ?


Le moment où je dis : « Soyons réalistes ».

    Il y a une évolution de nos comportements et il va y avoir une formidable évolution de notre espèce. Mais ce n’est pas pour autant que l’avenir qui se prépare va nous plaire.
Soyons réalistes ! Aucun retour en arrière n’est possible, ni même souhaitables. Le modèle de société champêtre rêvé par certains bienheureux écologistes radicaux, ne serait possible qu’en réduisant de 90% la population de la planète. Cela n’empêche d’ailleurs pas certains de ces neuneus d’en rêver. Depuis que le premier sapiens a quitté sa première vallée, traversé sa première montagne, puis son premier océan, il n’y a plus moyen de revenir en arrière.
La fuite technologique en avant n’est pas viable non plus, et ce d’autant plus que celle-ci va très vite buter sur un manque d’énergie et de matières premières. Ce manque sera peut-être transitoire, mais il va tout de même sacrément freiner l’accélération vers le tout technique qui caractérise notre moment de civilisation.


Et le capitalisme dans tout ça ?

    Le capitalisme est un outil conceptuel, une réalité imaginaire, un truc plus ou moins bien pensé qui jusqu’à présent nous a fait marcher tous dans la même direction, plutôt à marche forcée d’ailleurs et j’en conviens, souvent dans la douleur. Il n’existe que par ce que nous sommes une majorité à croire qu’il existe. Quand on sait à quel point c’est déjà difficile de nous débarrasser des précédentes réalités imaginaires inventées par nos ancêtres, comme les aliénantes religions, on se dit que ça va être dur de passer à autre chose avant un bon moment. Le capitalisme n’est-il pas d’ailleurs autre chose qu’une religion de l’argent ?
    Ce ne sera pas pour tout de suite, mais je fais confiance à l’humanité pour inventer une nouvelle réalité imaginaire, probablement aussi délirante que les précédentes, qui lui permettra de poursuivre le chemin sur lequel elle s’aventure depuis des milliers et des milliers d’années.


La conclusion optimiste.

    C’est donc peut-être le moment pour l’humanité de compter ses troupes avant d’affronter l’ère qui débute. Non pas en vue d’une nouvelle guerre, mais plutôt pour la construction d’un nouveau monde viable, agréable et durable. Dans ces troupes en route vers l’avenir, je compte aussi bien les jeunes qui expérimentent la permaculture dans des ZAD, que les autres jeunes qui réfléchissent et travaillent à la colonisation de Mars. Sans le savoir ils travaillent tous pour le même projet. Je vais vous étonner encore plus en vous disant que dans ces troupes, je compte également nos camarades animaux, aussi bien les domestiqués que les sauvages. Nous allons bientôt tous finir par comprendre qu’eux aussi, ils font partie de la famille. Et que notre devoir est de les emmener avec nous dans ce voyage vers l’avenir.

Mais tout cela, ce sera une autre histoire et ce sera sans nous.

Merci d'avoir lu ce très trop long article.

Bertrand