dimanche 6 janvier 2013

Soyez négatifs, mettez-vous en colère. Vous vivrez heureux et longtemps !

Mises à jours :
20 octobre 2015 : ajout du lien vers l'article québécois.
4 avril 2024 : vérification des liens.


(Recette de bonheur et de longue vie)



    Qui n’a jamais reçu par internet l’un de ces "gentils" messages (un peu bébêtes), empreints de la fameuse "pensée positive", qui prétendent vous donner la clé du bonheur ?


    Tapez "pensée positive" dans votre barre de recherche et je vous promets que vous allez vous amuser ! La pensée positive est typique de l’esprit américain. Soyez positifs, pensez sans cesse à ce que vous désirez par-dessus tout et vous l’obtiendrez. La plupart du temps, ce que l’on est censé désirer par-dessus tout, dans ce beau pays, c’est gagner des sous, encore plus de sous. 

    Chaque société a la philosophie qui lui ressemble. La pensée positive américaine est peut-être à l’image de sa jeune culture, une philosophie naïve pour de doux rêveurs. Les doux rêveurs du célèbre « rêve américain ». Ne faut-il pas d’ailleurs être un sacré rêveur pour supporter de vivre dans un tel pays ? Je ne parle pas du pays que la machine à rêver d’Hollywood vend au monde entier, je parle de ce pays si dur pour sa propre population, une sorte de Sparte anachronique avec ses 1% d’Homoioises Périèques traders et ses innombrables Hilotes. Une Sparte anachronique toujours en guerre…

    "Penser positif", "Croire en son rêve", "Ne pas se mettre en colère". Ne pourrait-on pas considérer ces chaleureux conseils comme les préceptes d’une sorte d’école de la passivité ? Voire une certaine forme de soumission ? Comment résister, comment se rebeller, lorsque l’on est convaincu qu’en positivant tout s’arrangera ?

    La pensée positive est pour ce peuple de croyants une forme moderne de la prière. Mais pour vous aider à comprendre mes craintes relatives aux méfaits possible de cette philosophie, je vous invite à lire cet article d'un journal québécois : L'art de décerveler les enfants.

    Et si la pensée négative nous était plus profitable ? Et si c’était plus bénéfique à notre santé de nous mette en colère ?
Concernant la seconde question, je vous conseille vivement de lire cet article sur le site de Futura-science. Il évoque une méta-analyse menée par des chercheurs allemands qui montre au travers des résultats de 22 études, que manifester sa colère augmente l’espérance de vie !
Cliquez sur ce lien pour lire l’article : S’énerver plus pour vivre plus.

    Si la question de l'agressivité vous intéresse, je vous recommande aussi de lire les ouvrages d'Henri Laborit, le célèbre biologiste du cerveau et du comportement. Vous comprendrez mieux pourquoi, lorsque nous sommes confrontés à un stress que nous ne pouvons ni combattre ni fuir, nous sommes condamnés à une quasi-autodestruction par la maladie. Le texte suivant présente un bon résumé de la pensée d'Henri Laborit : Transmission des commentaires d'Henri Laborit pour le film "Mon oncle d'Amérique". (Vieux site non "https", mais sans risque)

    Mais revenons à la pensée négative et interrogeons-nous sur ce que pourraient être ses bienfaits éventuels. Je vous invite à lire cette traduction d’un article étonnant que je vous ai trouvé dans le Wall Street Journal. Il s’agit d’un journal "tout ce qu’il y a de plus américain", donc ne rêvez pas, il ne conseille pas à ses lecteurs de se révolter ! Je vous laisse découvrir par vous-même quel bienfait la pensée négative pourrait apporter à un lecteur du Wall Street Journal…


Voici le lien vers l'article original d'Oliver Bukerman : The Power of Negative Thinking

Et voici ma traduction :


La puissance de la pensée négative


La philosophie antique et la psychologie moderne suggèrent que les plus sombres pensées peuvent nous rendre plus heureux.

La saison des Fêtes pose une énigme psychologique. Son caractère particulier est bien sûr la joie, mais les efforts intenses que nous déployons pour être joyeux semblent rendre beaucoup d’entre nous malheureux. Il est difficile d'être heureux dans les salles de transit d’un aéroport surpeuplé ou lorsque que vous essayez de rester courtois de longues journées avec des personnes de votre famille qui abusent de votre patience.

Raison pour laquelle, afin de mieux affronter les fêtes, magazines et autres médias nous conseillent de "penser positif" ; le même conseil, à peu de chose près que celui dispensé par Norman Vincent Peale, l’auteur de l’ouvrage "Le pouvoir de la pensée positive", il y a six décennies. (Peale suggérait que pendant les vacances, vous devriez faire "un effort délibéré pour parler de tout avec entrain.") Trop souvent, le résultat de cette attitude ressemble à ce célèbre et ennuyeux jeu de société qui consiste à essayer de ne pas penser à un ours blanc : Plus dur vous essayez, plus vous y pensez.

Le fait de penser dans ses moindres détails au pire des scénarios peut aider à vider l’avenir de sa capacité anxiogène.

Les propositions de la philosophie positive de Peale sont profondément ancrées dans la culture américaine, et pas seulement dans la façon dont nous traitons les vacances et d'autres situations sociales, mais également dans les affaires, la politique et bien au-delà. Pourtant, des études suggèrent que les joyeuses affirmations destinées à relever le moral de leur utilisateur par la représentation répétée de la réussite, conduisent souvent au contraire de l’effet recherché.

Fort heureusement, la philosophie antique et la psychologie contemporaine, proposent toute deux une alternative, une approche contre-intuitive que l'on pourrait appeler "La voie négative du bonheur". Cette approche permet d'expliquer certaines énigmes, comme le fait que les citoyens des pays les plus exposés à l'insécurité économique font souvent état d'un plus grand bonheur que les citoyens des pays plus riches. Ou que de nombreux responsables d'affaires florissantes rejettent l'idée de fixer des objectifs fermes.

Un des pionniers de la "voie négative" était le psychothérapeute new-yorkais Albert Ellis, décédé en 2007. Il avait redécouvert un aspect important de la philosophie stoïcienne de la Grèce antique et de Rome : la meilleure façon de faire face à un avenir incertain est parfois de se concentrer non pas sur le scénario le plus favorable, mais sur le pire.

Le stoïcien Sénèque était un radical sur ce sujet. "Si tu redoutes de perdre tes biens", conseilla-t-il une fois, "prends un certain nombre de jours, pendant lesquels tu te contenteras du revenu le plus maigre, du vêtement le plus grossier et le plus inconfortable, et demandes-toi alors : « Est-ce donc là, la situation qui m’effrayait ? »

Ellis raconte qu’il avait conseillé à ses clients, pour surmonter la peur de l'embarras, de voyager dans le métro de New York, en nommant les noms des stations à haute voix sur leur passage. Etant une personne facilement embarrassée, dans l'intérêt de la recherche journalistique, j'ai suivi son conseil sur la Central Line du métro de Londres. C'était atroce. Mais mes craintes exagérées ont été coupés nettes : je n'ai été ni interpellé verbalement ni agressé. Seules quelques personnes m’ont regardé bizarrement.

Il suffit d’imaginer dans ses moindres détails, le pire des scénarios, une technique que les stoïciens ont appelé « la préparation au pire » qui peut aider à vider l'avenir de son pouvoir anxiogène. La psychologue Julie Norem estime qu'environ un tiers des Américains utilisent instinctivement cette stratégie, qu'elle qualifie de "pessimisme défensif." La pensée positive, en revanche, c'est l'effort de se convaincre que les choses vont finalement bien se passer, ce qui peut alors renforcer la croyance selon laquelle ce serait absolument terrible s’il n’en était pas ainsi.

Dans les compagnies américaines, peut-être que la doctrine la plus largement acceptée du « culte de la positivité » est due à l'importance de fixer des objectifs audacieux pour une organisation, et que les employés sont encouragés (ou contraint) de fixer des objectifs qui sont "SMART" - "spécifique, mesurables, réalisables, pertinents et en temps opportun. " (On pense que le terme a été utilisé dans un article publié en 1981 par George T. Doran.)

Mais le consensus pro-objectif est en train de s'effriter. Les objectifs rigides peuvent en effet encourager les employés à faire l’impasse sur des aspects éthiques. Dans une expérience menée par le chercheur en management Lisa Ordóñez et ses collègues, les participants ont eu à faire des mots à partir d'un ensemble de lettres aléatoires, comme au Scrabble. L'expérience leur laissait faire un rapport de la progression de leurs résultats de manière anonyme, et ceux à qui l’on avait fixé un objectif précis à atteindre mentaient beaucoup plus fréquemment que ceux qui devaient simplement à "faire de leur mieux."

Les objectifs peuvent même conduire à une sous-performance. Une équipe d'économistes a conclu, que de nombreux nouveaux chauffeurs de taxi de New York, gagnaient moins d'argent par temps de pluie que ce qu'ils pouvaient, car ils terminaient leur travail dès qu'ils avaient atteint l’objectif qu’ils s’étaient fixés mentalement comme représentant le gain d'une bonne journée.

Se concentrer sur un objectif au détriment de tous les autres facteurs peut aussi fausser un objectif d'entreprise ou une vie individuelle, explique Christopher Kayes, professeur agrégé de management de l'Université George Washington à Washington. La Professeur Kayes, qui a étudié la "sur-poursuite" des objectifs, se souvient d'une conversation avec un dirigeant qui « lui avait dit que son objectif était de devenir millionnaire à l'âge de 40 ans ... et il y était parvenu. [mais] il avait également divorcé, avait des problèmes de santé, et ses enfants ne lui parlait plus. Les travaux du Professeur Kayes montrent « qu’au-delà de notre fixation sur les objectifs, se situe le profond malaise dû au sentiment d'incertitude.

Les recherches menées par Saras Sarasvathy, professeur associé en administration des affaires à l'Université de Virginie, suggèrent que l'apprentissage pour gérer le sentiment d'incertitude n'est pas seulement la clé d'une vie plus équilibrée, mais conduit souvent à la prospérité. Elle a interviewé dans le cadre d’un projet, 45 entrepreneurs qui avaient réussi. Presque aucun n’avait envisagé l'idée de rédiger un business plan détaillé ou de réaliser des études de marché approfondies.
Ils pratiquaient plutôt ce que le professeur Sarasvathy appelle l’« Effectuation (réalisation) ». Plutôt que de choisir un objectif et de faire un plan pour y parvenir, ils ont fait le bilan des moyens et du matériel mis à leur disposition, et ont alors imaginé les fins possibles. L’ « Effectuation » comprend également ce qu'elle appelle le « principe de la perte acceptable ».  Au lieu de se concentrer sur la possibilité de bénéfices spectaculaires de l’entreprise, se demander plutôt quel serait le niveau de la perte si elle échouait. Si la perte potentielle semble tolérable, passer alors à l'étape suivante.

Le principal avantage de la "voie négative" n’est peut-être pas sa capacité à favoriser l’optimisme, voire le succès. Il s'agit tout simplement de réalisme. L'avenir, après tout, est vraiment incertain, et les choses tournent aussi bien mal que bien. Nous sommes trop souvent préoccupés par le désir de mettre fin aux inévitables aléas de nos vies.
Cela est particulièrement vrai pour les plus grands « négatifs » de tous. Pourrions-nous profiter de la contemplation plus régulière de notre mortalité, plus que nous le faisons ? Comme Steve Jobs, célèbre pour avoir déclaré, « Se souvenir que vous allez mourir est le meilleur moyen que je connaisse pour éviter le piège de penser que vous avez quelque chose à perdre."

Nous pouvons cependant être tentés de partager la position de Woody Allen sur la mort : « Je suis fortement contre », il y a beaucoup plus à dire pour y faire face que pour la nier. Il y a quelques faits que même la pensée la plus puissamment positive ne peut pas modifier.

Adapté du livre de M. Burkeman "The Antidote: Happiness for People Who Can't Stand Positive Thinking,", publié en Novembre par Faber & Faber.
(Une version de cet article a été publié le 7 décembre 2012 dans l'édition américaine de The Wall Street Journal, sous le titre : The Power of Negative Thinking.)


La recette pour une vie longue et heureuse ?

Soyez négatifs !

Mettez-vous en colère !

(Révoltez-vous !)

Bertrand Tièche 😉


Post Scriptum : Je viens de découvrir qu'il existait un film sur le sujet, intitulé : "L'art de la pensée négative"






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