dimanche 18 novembre 2012

L’Europe maltraitée, ou la triste fabrication d’une réalité


(Article d'un européen désabusé, avec à la fin, un extrait de film avec Jean Gabin !)




    C’est après que toute l’agitation concernant la ratification du "Traité sur la stabilité, la Coordination et la Gouvernance" soit retombée, que je me lance à écrire cet article "inutile".


    Je fais partie de ces bonnes âmes qui ont longtemps pensé que la construction de l’Europe était un beau projet. Que ce soit pour Maastricht en 1992 ou pour le traité constitutionnel en 2005 ; j’ai donc toujours voté "oui", sans plus d’hésitations. Ces traités n’étaient guère enthousiasmants, mais je me raisonnais en me disant qu’il était probablement difficile de rédiger un texte qui satisfasse autant de pays si différents.


    Je ne voyais pas l’Europe de la même façon que mes parents, c'est-à-dire comme un rempart contre la guerre (Je crains en effet que le seul rempart contre une nouvelle guerre mondiale, ne soit rien d’autre que la sinistre bombe atomique). Je pensais plutôt que l’Europe, forte de son histoire ancienne et douloureuse, pouvait représenter une alternative sage et démocratique à la sauvagerie économique américaine ou aux penchants totalitaristes de certains pays comme la Russie ou la Chine.


    Et puis j’ai compris quel genre de projet européen on voulait nous imposer. J’ai vu le dogme néolibéral progressivement s’imposer, avec sa phobie maladive des services publics qu’il rêve de privatiser. Ce que nos ancêtres ont mis des siècles à construire, au prix du sang et des larmes, est peu à peu mis en pièce et vendu à l’encan, sous un fallacieux prétexte de rentabilité. Peu à peu, les états abandonnent leurs fonctions régaliennes pour les déléguer aux compagnies privées. C’est un peu comme si on assistait à la restauration du système féodal que les rois d’antan puis notre Révolution, avaient eu tant de mal à faire disparaitre.


    Un système féodal pour de nouveaux seigneurs, ceux de l’économie, qui remplacent les désuets seigneurs de la guerre des temps passés. Lorsqu’AREVA ou Total dictent leurs lois à l’état français, sous couvert du politiquement correct « Lobbying », je repense aux ducs de Bourgogne qui autrefois humiliaient les rois de France. L’état français se déconstruit peu à peu, à mesure que son histoire se trouve réécrite par de cyniques nostalgiques de l’ancien régime. Il est par exemple devenu de bon ton de cracher sur les idées généreuses de la Révolution française, et de pleurer niaisement sur les malheurs de Marie Antoinette et de Louis XVI. Bientôt, les fiers citoyens redeviendront des serfs, l’échine courbée devant leurs nouveaux maîtres, se prosternant devant les logos des marques commerciales.
Bientôt, la compagnie Apple, qui se trouve être déjà la 83éme économie du monde, sera plus puissante et respectée que le dernier des états !


    Nous n’en sommes pas encore arrivés au même point que l’état américain qui ne sera bientôt plus qu’une coquille vide, mais nous prenons inexorablement le même chemin. Peu importe qu’Obama, devant lequel tous les médias français tombent en pamoisons, ait été élu une seconde fois. Ce président des États-Unis n’est rien d’autre qu’une image politiquement correcte, une sorte de joli pot de fleurs masquant la triste réalité d’un autre pouvoir ; un autre pouvoir luttant sans merci contre la notion même d’état.
Cette idéologie à la mode, qui consiste à vouer l’état aux gémonies, existe également en France, les Français ayant oublié qu’ils ne vivent plus à l’époque de Louis XIV, et que l’Etat, c’est eux !

    Hélas, depuis longtemps déjà, ce sont les USA qui donnent le La. Ce sont eux qui sont allés le plus loin dans cette dérive corporatiste (privatisation des services de l’état). L’état américain a même abandonné la principale fonction régalienne, celle de la guerre, en sous-traitant une grande partie de la gestion de la guerre, fonction régalienne s’il en est, à de puissantes mais discrètes Sociétés Militaires Privées (En 2011, en Afghanistan : 113.000 « contractors » contre 90.000 soldats).

    La plupart des braves gens ignorent cela, à part peut-être leurs ados qui jouent en réseau à des jeux de guerre sur Xbox et qui connaissent les « jeux » développés par l’une des plus fameuses de ces sociétés, Blackwater (qui s’appelle à présent Academi).

    Et ce délire néolibéral de la privatisation à outrance a atteint son paroxysme sous l’ère Bush que notre anachronique précédent président admirait tant.

    Car il existe un "courant de pensée" en France qui fait l'apologie de cette sinistre doctrine économique. Nous n'avons pas encore atteint le niveau du modèle libéral imposé, mais nous en suivons docilement le chemin. Nous avons abandonné le principe républicain de l’armée de conscrits citoyens pour celui de l’armée de métier (pour des raisons budgétaires bien sûr…). Nous nous apprêtons à payer fort cher le fait d’avoir renoncé en 1973 à utiliser notre Banque de France pour nos emprunts publics, afin d'emprunter sur les marchés (autre pouvoir régalien que celui de battre monnaie). Ainsi entre le début des années 1980 et la fin 2006, nous avons payé 1142 milliards d’euros d’intérêts, soit plus que le montant de la dette que notre État avait contracté dans la même période, soit 913 milliards. En d’autres termes, si nous n’avions pas eu à payer ces 1142 milliards d’intérêts, nous n’aurions pas eu à emprunter 913 milliards d’euros, et nous aurions pu également rembourser les 229 milliards d’euros de dette publique de 1980. Et nos gouvernements successifs ont tellement diminué les rentrées fiscales (en diminuant les impôts) qu’ils ont dû emprunter des sommes folles aux marchés financiers à des taux d'intérêts imposés !


    Le discours anti-service public gagne toujours plus de terrain, et ce, depuis de nombreuses années. Pour ceux qui ont séché les cours d’histoire, l’idée du service public en France remonte au temps de Louis XIV, et de son ministre Colbert qui pensa le développement industriel de la France au travers de sociétés d’état les fameuses manufactures). Il ne s’agit donc pas d’un concept « communisto-collectiviste » imposé par des staliniens nostalgiques, comme on voudrait nous le faire croire à présent. Lisez cet article : Beffa ou la nostalgie du Colbertisme.


    Qu’importe ! Pour le système économique néolibéral il est hors de question de laisser un état gérer les colossales masses d’argent que représentent les budgets de services publics tels que l’école, les retraites ou de la santé ! Peu lui chaut que le système de santé français soit moins cher et plus performant que celui des États-Unis, ce qui compte c’est que l’argent aille où il faut, c'est-à-dire qu’il disparaisse toujours plus abondant dans les poches de ses bienheureux actionnaires. Et voilà déjà bien longtemps que le pillage est commencé en France. Qui se souvient du scandale de l’argent « pompé » par Vivendi dans les années 90 avec les contrats de délégations de services publics de l’eau ? Argent payé par les abonnés, argent disparu dans les sables de la « nouvelle économie ». Qui s’en souvient et surtout qui sait comment tout cela a fini ? Lisez cet article édifiant : "Une multinationale qui pompe l'eau et l'argent"


Trêve de digression, je vous parlais de cette pauvre Europe.

    L’Europe ? Candide que j’étais ! L’Europe n’était pas ce beau rêve de paix perpétuelle entre les peuples, un projet de société, culturel et humain ! L’Europe n’est rien d’autre qu’un vaste marché, et un marché, cela doit respecter la loi des marchés, comme dirait feu Milton Friedman.
Ce traité a été voté, attendons le suivant. Les mieux informés s’inquiètent déjà du traité transatlantique
    Pour que la farce soit complète, l'Europe a été récompensée en 2012 par un prix Nobel de la paix ! Gageons qu'en 2013 elle obtiendra celui de l'économie !


    Pour nous consoler, il nous reste l’illusion de la liberté de parole. Isolés dans nos blogs de maquisards perdus sur le net, nous dénonçons, décrivons, pétitionnons, protestons, et parfois tout de même, nous manifestons dans la rue. Mais nous ne faisons pas vraiment le poids. Inexorablement, ce monde dont nous ne voulons pas se construit. Déjà tombent les masques de notre nouveau gouvernement, il n’y aura pas de changement, continuez de dormir braves gens et que les insomniaques se contentent de blogguer !

    
    Tandis que je conclus si amèrement cet article, je me remémore cette anecdote rapportée en 2004 par le journaliste Ron Suskind, à propos d’une conversation qu’il avait eue un jour avec Karl Rove, un conseiller de George W. Bush :
« Pendant l’été 2002, après que j’eus écrit au sujet de l’ancienne directrice de la communication de Bush, Karen Hughes, j’ai eu une discussion avec un conseiller senior de Bush. Il m’exprima le déplaisir de la Maison-Blanche, puis il me dit quelque chose que je n’ai pas entièrement compris à ce moment là – mais qui, je le crois maintenant, concerne le cœur même de la présidence de Bush. Le conseiller me déclara que les types comme moi étaient « dans ce que nous appelons la communauté fondée sur le réel », qu’il définissait comme les personnes qui « croient que les solutions émergent de l’étude judicieuse de la réalité discernable ».  J’acquiesçais, et murmurai quelque chose sur les principes de la raison et de l’empirisme. Il me coupa net. « Ce n’est plus la façon dont fonctionne le monde désormais », continua-t-il.
« Nous sommes désormais un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudierez cette réalité – de manière judicieuse, sans aucun doute – nous agirons à nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pouvez étudier également, et c’est comme ça que les choses se régleront. Nous sommes les acteurs de l’Histoire… et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à tout simplement étudier ce que nous faisons. »


    Voici donc, dans le meilleur des cas, la part qui nous est allouée, « étudier, impuissants, les réalités qui se construisent devant nous »…


    Ah comme j’aimerais utiliser autrement ces baguettes de pains liées comme des bâtons de dynamite que The Economist, le journal de propagande du libéralisme triomphant, affiche en couverture de son numéro du 17 novembre 2012 pour se moquer de la France ! 😉




Bertrand Tièche, blogueur inutile...


Post Scriptum :

J'ai découvert cette vidéo partagée par un contact Facebook. Il s'agit d'un film de 1961, le texte serait de Michel Audiard, 12 minutes d'un discours étonnant sur l'Europe dit par Jean Gabin.
Cela donne à réfléchir...

Cela donne à réfléchir...

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