dimanche 8 décembre 2013

Terminer ?

Une petite différence existe entre finir et terminer...



Le moment est-il venu de terminer ce site ? (Petite réflexion sur l'idée de terminer)


    Lorsqu'un ami m'a demandé pourquoi je voulais arrêter Transitio, je lui ai répondu (plaisantant à peine) que lorsque l'on voit arriver une catastrophe, il y a un temps pour crier l'alarme et puis il y a un temps pour courir (J'ai aussi ajouté que je ne souhaitais pas finir comme Cassandre). Il m'a répondu : "Oui, mais tu as des lecteurs !".


    Je décèle tant de signes alarmants dans la société qu'il me semble de plus en plus difficile de penser que quelque chose soit encore possible pour éviter le pire. Mais ce qui pour moi est "le pire", à savoir l’effondrement de la société telle que je l’ai connue, avec ses montées de haine, de bêtise et de violence ; ce pire ne l’est peut-être pas pour tout le monde. En effet, cette idée du "pire" est difficilement supportable pour moi, parce que je n’y ai pas vraiment été préparé, ce qui n’est pas le cas de la génération montante. Grâce à mes relations professionnelles et amicales, j’ai en effet la grande chance de pouvoir discuter souvent avec des jeunes, et je constate avec étonnement que beaucoup parmi eux sont prêt à faire face à ce terrible changement de la société.

    Nombre de jeunes ont compris qu’ils ne devaient plus compter sur cette société malade et ils inventent de nouvelles stratégies comportementales, parfois inattendues, pour s'adapter à cette dangereuse évolution de la société. Ces jeunes sont pourtant déjà insérés dans la société et pour la plupart ils travaillent !

    Nombre d’entre eux, bien diplômés, ne peuvent pas avec leurs salaires, vivre selon les standards devenus inaccessibles que continuent de leurs présenter les médias.
  • Ils ne peuvent payer les loyers exorbitants résultant de la spéculation immobilière, alors ils vivent en colocations tant qu’ils ne sont pas en couples (il faut en effet savoir que les logements se construisent pas pour loger des gens, mais pour faire gagner de l'argent à d'autres).
  • Ils ne peuvent s’offrir les coûteuses voitures absurdes remplies de gadgets inutiles, voire les entretenir s’ils en ont, alors ils sont adeptes convaincus du vélo, des transports en commun et du covoiturage.
  • Ils ne peuvent céder aux sirènes du consumérisme, alors ils fabriquent eux-mêmes et vendent ou échangent sur des marchés du gratuit ou des sites sur le web.
  • Ils n’ont aucune illusion quant aux retraites que l’on continue de leur promettre mais qui de toutes façons leurs seront volées.
  • Ils savent qu’ils ont intérêt à prendre soin de leur corps par l’alimentation et le sport, car jamais ils n’auront la couverture médicale de leurs grands-parents, et puis à quoi bon, se disent certains, vivre une trop longue vieillesse dans des conditions de déchéances et d’abandon si insupportables ?

    Ces nouvelles formes d'adaptations au milieu oscillent cependant entre deux pôles fort différents, celui de la solidarité et celui de l'individualisme.

Quoi de plus normal que l'individualisme se développe ? Le système économique du libéralisme triomphant ne demande rien de plus ! Après des décennies de propagande libérale, le bon peuple est même à présent convaincu que ce qui est public est mieux géré par le privé !  (Lisez cet article et vous comprendrez ce qui vous arrivera lorsque même les pompiers appartiendront au privé : Arizona Firefighters Charge Family Nearly $20,000 After Home Burns Down)

    Mais ce qui m’étonne le plus, c’est qu'un état d'esprit totalement nouveau en France, celui du "survivalisme" (venu des Etats-Unis bien sûr), puisse se répandre aussi rapidement ! Et il ne touche pas que des jeunes ! Je côtoie en effet des quadras chargés de familles, bien installés dans la vie, qui commencent à envisager une fuite salutaire vers la campagne et qui s’inquiètent d’apprendre les savoirs perdus de nos grands-parents, qui savaient tout faire par eux-mêmes, que ce soit cultiver un jardin, construire une maison ou réparer une voiture.

    Je dois même vous avouer chers lecteurs que j'aime, que moi aussi, lorsque j’ai acheté l’an dernier une petite cabane en bord de Loire avec un grand terrain, c'était un peu dans l’idée d’apprendre à jardiner et d'avoir une base arrière en cas de "soucis" à Paris... Mais je rencontre depuis, de plus en plus de gens qui se posent la question de ce choix et qui pour beaucoup franchissent le pas. Cette forme quelque peu radicale d’adaptation au changement est vraiment surprenante dans un vieux pays comme la France, où manquent les grands espaces propices au repli qui existent aux Etats-Unis. Il y a tout de même nombre de jolis coins dans nos belles campagnes abandonnées


    Il n’est pas dit cependant, que cette solution soit autorisée encore bien longtemps par le "système totalitaire soft" qui se met en place. Cultiver ses légumes pour se nourrir, par exemple, est en passe de devenir illégal et nombre de semences non répertoriées dans l’index rédigé par les lobbies (Monsanto vous connaissez ?) sont déjà interdites à la vente !

    Aucun comportement hérétique n’échappe en effet aux sbires de cette nouvelle inquisition chargée de nous soumettre au dogme de la sainte église universelle et financière du libéralisme triomphant.



    Finie la brutalité totalitaire du temps de grand-papa ! Dans notre "meilleur des mondes", il n’est plus nécessaire d’enfermer, torturer et brûler les récalcitrants comme par le passé. La nouvelle terreur est douce, c'est la "Soft terror". Les spin doctors de l'ingénierie sociale, habillés par Hugo Boss, ont remplacé les tortionnaires nazis (habillés aussi par Hugo Boss d'ailleurs !). C’est la "soft terror", que les bons pères de cette nouvelle église appliquent avec passion au nom de notre sacro-sainte sécurité. C’est en effet pour notre "bien" que l’ingénierie sociale leur procure milles outils indolores utilisés pour nous rendre dociles comme des animaux d’élevage, nous couper griffes, cornes et autre chose, afin que nous ne nous blessions pas en nous débattant, afin surtout que nous n’ayons pas conscience de notre déshumanisation. (Lire absolument "180 jours" et "Addiction générale" d'Isabelle Sorente).


    Pendant ce temps-là, nos politiques planent dans un monde parallèle, ce fameux "deuxième monde", totalement déconnectés d’une réalité qui leur sera à jamais étrangère. La politique, quelque-soit son orientation, attire toujours les mêmes types de personnalités issues des mêmes branches socioprofessionnelles (Ce n'est pas un jugement de valeurs). En haut, une élite constituant une nouvelle aristocratie, totalement refermée sur elle-même et uniquement préoccupée de préserver ses intérêts ; en bas, des militants sincères (souvent des retraités ou des chanceux ayant un peu de temps libre) nécessaires pour coller des affiches, distribuer des tracts et répéter le discours officiel.
Ces gens, aussi sincères soient-ils, ne peuvent que reproduire toujours les mêmes schémas de pensées, qui pour la plupart sont totalement périmés.


    Pendant que ces séraphins politiques planent dans le premier ciel, nous gratifiant parfois de leurs célestes visions, les nouveaux maîtres du monde, dans le septième ciel, aussi déments et pervers que les dieux de la mythologie grecque, jouent comme leurs modèles antiques avec nos destinées humaines. Ici-bas sur terre, tout comme à l’origine des temps, les troupeaux d’hommes et de femmes s’affolent de toutes ces divines calamités qui s’abattent sur eux. Certains cherchent déjà des victimes expiatoires à sacrifier à la folie de ces nouveaux dieux, d’autres, plus avisés probablement, recherchent le calme des vallées perdues qui peut-être, les préserveront de l’extinction.


Un beau spectacle en perspective que celui de cette transition…


Voilà pourquoi j'en suis venu à me poser la question de terminer Transitio.


Terminer ? Vous avez dit terminer ? Mais bien sûr qu'il faut terminer !


Terminer n'est pas finir...

    Afin de "terminer" cet article sur une note d'espoir, je vous propose d’écouter cet excellent podcast de la radio France Culture sur l’idée de terminer. Il s’agit de l’émission "Pas la peine de crier" de Marie Richeux. Elle avait invité Bruno Latour, un anthropologue, philosophe, écrivain pour réfléchir à cette idée de terminer. J’ai trouvé cet entretien passionnant.

    Lisez plutôt la présentation ci-dessous de l’émission. Vous aurez probablement envie d’écouter le podcast dont le lien se trouve après ce texte, ce en quoi je vous encourage. 

Terminer, le verbe, donc l’action. Mais on peut aussi entendre « terminé » l’adjectif, qui nous met moins en mouvement, nous met plus au pied du mur. Obligés au choix, à l’invention, au saut. Ils sont nombreux, et depuis un moment, à décrire un monde en déclin. Mais le déclin, induit toujours une pente, une direction, une voie, un sens, une certaine idée du progrès, toujours l’idée d’un infini en somme…. A quoi est-on amené à penser, si l’on pense un monde fini ? Qu’est-ce qui arrive au bout de sa formulation ? De sa possibilité ? 

L’humain se considère au centre de la vie, par exemple, ou l’humain pense pouvoir modifier la nature à sa guise, à son profit, infiniment. Un certain mode de vie serait arrivé au bout de sa possibilité car il aurait entraîné une modification hors du commun du système terre. Si, dit Catherine Larrère, l’humain ne peut mettre fin à la nature, il peut en revanche fortement se menacer lui-même. Alors s’il s’agit de faire le deuil de nous-mêmes tels que nous avons été, encore faut-il savoir ce que nous avons été, et savoir ce que nous désignons comme n’étant pas nous, pour éventuellement intégrer cette diversité, après négociation, et envisager la suite dans de nouvelle forme de maison.

Le dernier livre de Bruno Latour est présenté comme un rapport d’enquête et un préliminaire de paix. Car, dit-il, la fin du processus moderniste nous place en situation de guerre originale contre nous-mêmes, et aux nouvelles guerres ; les nouvelles paix ! Bruno Latour est anthropologue, philosophe, écrivain, ce livre s’appelle Enquête sur les modes d’existence il est paru aux éditions La découverte.




Post Scriptum :

    Je suis sincère, j'hésite vraiment à continuer Transitio. Beaucoup d'autres sites traitent des mêmes sujets que moi et le font très bien (BastamagOil ManLes moutons enragés, etc.).
Peut-être ai-je seulement besoin de faire une pause ?

    En tout cas, je remercie du fond du cœur les amis inconnus qui lisent mes quelques articles.
Merci et bonnes fêtes de fin d'année à vous !



Bertrand Tièche


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