Les Américains quittent l'Afghanistan ?
Je n'ai pas l'habitude d'écrire des articles "à chaud" sur l'actualité, mais le défilement de bêtises larmoyantes que j'ai vu sur Facebook aujourd'hui m'a fait craquer.
Un certain M. Soubigou, Maître de conférences, à l'Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, m'a même insulté lorsque je lui ai demandé pourquoi il avait osé afficher la photo ci-dessous sur son profil Facebook en oubliant de préciser qu'elle avait été prise le 29 avril 1975, lors de l'évacuation de Saïgon par les Américains.
Evacuation de américaine de Saïgon en 1975 |
Je vous conseille au passage de regarder la poignante vidéo d'où a été extraite cette photo en cliquant sur l'image ci-dessous :
Cette scène se situe à 12:42 |
Petites précautions oratoires.
Concernant les USA, je vous rappelle que c'est un Empire et qu'il agit comme tel. Ce n'est ni bien ni mal, c'est de la Realpolitik.
Passionné d'histoire, je ne porte pas de jugement, pas plus que Thucydide lorsqu'il rapportait le cynisme des Athéniens devant les magistrats de Mélos. C'est la logique de l'Empire. Lisez cet article : Thucydide : Histoire de la guerre du Péloponnèse, Realpolitik...
L'histoire, croyez-moi, permet d'observer l'actualité avec un certain recul, surtout lorsque l'on a acquis suffisamment de sagesse pour ne plus être tributaire d'une quelconque idéologie. Actuellement, par exemple, j'observe avec intérêt l'effondrement de l'empire américain, le naufrage européen, le réveil russe et l'émergence de l'empire chinois. C'est passionnant !
Dernière précision concernant les médias. Je ne porte pas de jugement de valeur non plus sur le comportement des journalistes. La plupart sont sincères. Ils baignent dans un flot d'informations, souvent contradictoires, voire incompréhensibles et ils essaient de donner du sens à tout cela. Les historiens sont en proie aux mêmes problèmes.
J'apporterai tout de même une petite nuance sur le fait que beaucoup de journalistes semblent minimiser l'efficacité grandissant de l'ingénierie sociale, cette science qui s'apprend à l'université et qui sert à fabriquer des opinions. Sur l'ingénierie sociale non plus, je ne porte pas de jugement de valeur, car je ne vois pas comment un gouvernement, y compris et même surtout une démocratie, peut gérer une population dont l'augmentation semble aller de pair avec une ignorance elle aussi grandissante. C'est d'ailleurs peut-être pour cela que le fameux Zbigniew Brzezinski est aussi l'inventeur du tittynment.
Voici tout de même comment certains médias, pas tous évidemment, voyaient Osama Bin Laden en 1993 ! On peut lire "Un combattant antisoviétique mène son armée sur le chemin de la paix."
Soyons charitables, les médias peuvent, eux aussi, se tromper et pour prendre leur défense, il y a parfois des retournements de situations imprévisibles.
Les révélation de Zbigniew Brzezinski (conseiller du président Carter)
Ce sont les USA qui par leurs soutiens secrets aux talibans ont provoqué l'invasion des Russes. Voilà ce qu'expliquait au journaliste du Nouvel Observateur le 15 janvier 1980, Zbigniew Brzezinski, le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité – que Barack Obama avait nommé conseiller aux affaires étrangères lors de sa campagne présidentielle…
Cliquez sur l'image ci-dessous pour lire l'article de l'époque. Le texte de l'interview est retranscrit en dessous, agrémenté de quelques observations.
Le texte de l'interview.
Le Nouvel Observateur : L’ancien directeur de la CIA Robert
Gates l’affirme dans ses Mémoires : les services secrets américains ont
commencé à aider les moudjahidine Afghans six mois avant l’intervention
soviétique. A l’époque, vous étiez le conseiller du président Carter pour les
affaires de sécurité. Vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire ? Vous
confirmez ?
Zbigniew Brzezinski : Oui. Selon la version officielle de
l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980,
c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24
décembre 1979.
Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en
effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive
sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul.
Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais
qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des
Soviétiques.
Le Nouvel Observateur : Malgré ce risque vous étiez partisan
de cette « covert action » (opération clandestine). Mais peut-être même
souhaitiez-vous cette entrée en guerre des Soviétiques et cherchiez-vous à la
provoquer ?
Zbigniew Brzezinski : Ce n’est pas tout à-fait cela. Nous
n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté
la probabilité qu’ils le fassent.
Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié
leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence
secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y
avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?
Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération
secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes
dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les
Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président
Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa
guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une
guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la
démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique.
Le Nouvel Observateur : Vous ne regrettez pas non plus
d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à
de futurs terroristes ?
Zbigniew Brzezinski : Qu’est-ce qui est le plus important au
regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique
? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin
de la guerre froide ?
Le Nouvel Observateur : Quelques excités ? Mais on le dit et
on le répète : le fondamentalisme islamique représente aujourd’hui une menace
mondiale.
Zbigniew Brzezinski : Sottises. Il faudrait, dit-on, que
l’Occident ait une politique globale à l’égard de l’islamisme. C’est stupide :
il n’y a pas d’islamisme global. Regardons l’islam de manière rationnelle et
non démagogique ou émotionnelle. C’est la première religion du monde avec 1,5
milliard de fidèles. Mais qu’y a-t-il de commun entre l’Arabie Saoudite
fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l’Egypte
pro-occidentale ou l’Asie centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit
les pays de la chrétienté.
(1) « From the Shadows », par robert gates, Simon and
Schuster
(2) Zbigniew Brzezinski vient de publier « Le Grand
Échiquier », Bayard éditions
Source : Le Nouvel Observateur, 15/01/1998
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Encore quelques infos ?
Le 3 février 1980, quelques semaines après l’intervention
militaire de l’Union soviétique en Afghanistan, M. Zbigniew Brzezinski,
conseiller pour les affaires de sécurité du président américain James Carter,
se rend au Pakistan. S’adressant aux moudjahidines réfugiés de l’autre côté de
la frontière, il leur promet : « Cette terre, là-bas, est la vôtre. Vous y retournerez
un jour parce que votre combat va triompher. Vous retrouverez alors vos maisons
et vos mosquées. Votre cause est juste. Dieu est à vos côtés. »
Durant des années les pays occidentaux, aux ordres des USA, ont porté aux nues ces demeurés intégristes religieux. Les USA ont même formé
des groupes djihadistes ! Et tout le monde se moquait éperdument du sort horrible des
femmes afghanes !
Les USA ne sont pas effrayés par l'intégrisme religieux, parce qu'eux même, depuis leur fondation sont atteint de ce même mal. Cela non-plus, ce n'est pas un jugement de valeur de ma part. Juste une observation.
A lire absolument !
Lisez également l'article concernant l'aveuglement des élites françaises, qui vaut son pesant d'opium : "Quand les djihadistes étaient nos amis."A écouter absolument (pour dédramatiser ?)
Je vous propose de lire l'article et d'écouter cette émission diffusée sur France Culture en Juin dernier à propos du retour des Talibans
Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder :
Source France Culture : 'L'Afghanistan vu par les Talibans" |
Voici un extrait de l'article :
- Les talibans ont une position juridique simple :
- 1. Nous sommes chez nous / 2. Nous sommes cohérents
- D’abord, ils se voient, non sans raison, comme un mouvement de résistance nationale.
- Contrairement aux organisations djihadistes type Al Qaida, qu’ils ont aidé et abrité, les Talibans n’ont jamais cherché à attaquer le monde extérieur. Leur seul objet de lutte : c’est l’Afghanistan.
- Et ils se perçoivent comme le mouvement politique afghan le plus légitime, le moins corrompu. Moins corrompu que les chefs de guerre tribaux, moins corrompu que les pouvoirs civils installés à Kaboul par les États-Unis et la communauté internationale.
- Ensuite, comme tous les mouvements islamistes, ils sont porteurs d’une vision structurée de la société. Une vision archaïque et rétrograde notamment pour les droits des femmes.
- Mais une vision cohérente avec elle-même : la loi de Dieu prime, la Charia est la loi fondamentale. Et tout est structuré en fonction, notamment leur système judiciaire, à certains égards plus fiables que celui mis en place par Kaboul.
- Enfin, leur légitimité juridique a été renforcée par les États-Unis eux-mêmes. Dès l’instant où Washington a cherché à négocier directement avec eux ces dernières années, avec les embryons d’accords de Doha, au Qatar, en 2020.
On apprend même plus loin que les talibans sont en rivalité avec les tarés du groupe État Islamique, moins implanté mais présent dans la province afghane du Khorasan !
Il y a même une vidéo :
Post Scriptum :
Je ne suis pas cynique et insensible. Malgré l'absurdité de ces guerres j'éprouve de la peine pour les malheureux soldats, toujours des jeunes gens, souvent pauvres (côté américain) qui y sont morts ou sont revenus mutilés. J'éprouve également de la peine pour les victimes afghanes ainsi que pour les femmes afghanes, principales victimes du régime qui va se mettre en place.
Pour info :
Le 19 août prochain, si vous êtes gentils, je vous expliquerai comment la CIA a renversé en Iran en 1953, le gouvernement de Mossadegh, démocratiquement élu, pour mettre à sa place le ridicule dictateur que fut le Chah d'Iran, que les Iraniens haïrent à un tel point que... (vous connaissez la suite).