Comment ne pas résister à l’envie de vous faire découvrir
cet article publié sur le site de France Bleu intitulé « En Centre-Val de
Loire : la question de la poursuite d'activité des centrales nucléaires au-delà
de 40 ans ».
Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à cet article, qui est responsable de toutes les digressions qui vont suivre, et dont certaines, j'en suis sûr, vont vous étonner :
Cet article de France Bleu évoque en effet une des spécialités du savoir-faire français en matière d’ingénierie sociale, à savoir, "l’enquête publique". Cette parodie de démocratie consultative constitue l’une des étapes essentielles à ce que l’on appelle "La fabrication du consentement". Ouh là ! Ca démarre fort vous-dites-vous ! Mais lisez quand même. Vous allez voir.
Il faut savoir que cette procédure désuète de consultation destinée à gagner le consentement du public est peu à peu remplacée par une simple participation du public par voie électronique, qui, comment dirais-je ? Est beaucoup plus, moins efficace ? Disons, mieux contrôlée. Cela ne concerne pas encore les enquêtes relatives aux Installations Classées pour la Protection de l'Environnement, ni celles des sacro-saintes centrales nucléaires, mais gageons que cela viendra vite.
Vous découvrirez sur le site dénommé "Registre dématérialisé d'enquête publique" les services que celui-ci propose très officiellement, pour mener à bien ces Participations du Public par Voie Electronique, les PPVE. Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder.
Mais ne vous y trompez pas, malgré son apparence très officielle avec ses beaux drapeaux, il ne s'agit aucunement d'un service de l'Etat. Pour ceux qui ne suivraient pas biens l'actualité de ces dernières décennies, ledit Etat se vide peu à peu de toute sa substance en déléguant tous ses services à des sociétés privées.
Rions un peu : Voilà le genre de message qui s'affiche parfois lorsque l'on accède à un vrai service de l'état.
Si vous regardez en bas de la page, à côté du logo ridicule de la French Tech, vous apprendrez que le Registre dématérialisé est proposé par l'agence Préambules SAS. Il s'agit d'une "agence de communication participative".
Vous vous demandez ce qu'est la communication participative ? J'ai trouvé sur le site "communicationsparticipatives.com" la définition suivante :
"La communication participative est une méthode très efficace d’empowerment qui favorise l’engagement et la mobilisation des individus autour des projets collectifs, et l’innovation dans la gouvernance des projets publics."
Vous vous demandez ce qu'est l'empowerment ? Wikipedia nous en donne la définition suivante :
"L'empowerment, ou autonomisation, ou encore capacitation, est l'octroi de davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés".
Sous-entendus et mauvais esprit (J'assume)
Combat entre Arlebouygues et Zaneiffage |
Ne nous offusquons pas, cela fait partie du folklore français. Notre pays s’est construit comme cela, de même quelques belles fortunes qui réhaussent sa gloire devant la face du monde ! Personne ne peut rien y faire. Si un candide, voulant soulager sa conscience, venait à dénoncer une tricherie, la procédure judiciaire serait tellement, mais tellement, tellement, tellement longue, que les éventuels justiciables pourraient jouir de leur vieillesse sans grand souci. Voyez l’affaire du procès dit « de la Défense », qui constitue un bel exemple. Je vous le dis, c’est un vrai savoir-faire français ! J'avais déjà évoqué brièvement ce sujet autrefois dans cet article de Transitio "Une multinationale qui pompe l'eau et l'argent".
Dommage, malgré tout, que ce savoir-faire de l’ingénierie
sociale ne s’étende pas jusqu’à l’ingénierie "tout court", comme
vous allez le découvrir en lisant la suite.
"Par de
pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées." Tartuffe (Molière) |
Revenons à l’article de France Bleu qui s’étonne de la complexité des documents produits par l’enquête publique menée dans le cadre de la prolongation de la durée de vie de nos 56 réacteurs nucléaires "prétendument" en service.
J’insiste sur le "prétendument" car en réalité, sur ces
57 réacteurs, la plupart du temps, près de la moitié sont à l'arrêt. Pour les 24 réacteurs hors services dénombré en septembre 2020, les causes invoquées étaient la sécheresse, les avaries techniques d’EDF et le décalage
des opérations de maintenance à cause du Covid-19. La situation était tellement problématique, que
EDF avait dû rallumer dès septembre, ses centrales fonctionnant au charbon,
qu’elle n’utilise normalement que par très grand froid !
Un mot au passage sur la prétendue augmentation de l'utilisation du charbon chez nos amis Allemands.
Non, la consommation de charbon et de lignite en Allemagne n’a pas
augmenté du fait de la sortie du nucléaire, elle a décru, comme la production à
partir de l’ensemble des combustibles fossiles. Oui, la production d’origine
renouvelable a plus que compensé, et de loin, la baisse de la production
électronucléaire. Non, les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas augmenté
sur la même période, elles ont même décru. Non, l’Allemagne n’a pas importé un
excédent d’électricité de la France, bien au contraire, sauf pour l’année 2011,
quand huit réacteurs électronucléaires ont été arrêtés.
Source : Lisez cet article du physicien nucléaire Bernard Laponche sur le site du Journal de l'énergie.
There is no alternative !
En réalité, comme le disait si bien l'excellente Margaret Thatcher "There is no alternative", "Il n'y a pas d'autre choix". Elle avait dit cela le 25 juin 1980, pour expliquer qu'il n'y avait pas d'autre alternative au projet ultralibéral (Privatisations, dérégulations, libéralisation de la finance, plans d’ajustement structurels, démantèlement de l’Etat-providence, délocalisations, privatisation des services publics, etc.)
EDF n’a effectivement pas d’autres choix que de prolonger les durées de vies d’équipements usés par les hautes températures, surpressions et radiations, qui partout ailleurs dans l’industrie aurait été envoyés, comme on dit "à la benne", et ce, tout simplement par ce qu’il n’y a aucune autre alternative de prévue.
Il faut bien comprendre que sortir du piège nucléaire, relève de l’impensable pour nos élites. Je vous conseille vivement de lire cet article de Transitio retraçant (entre autres) l'histoire du nucléaire en France : "Transition énergétique vers la dépendance". Il date de 2015, mais il est hélas toujours d'actualité (les chiffres n'ont fait qu'empirer). Cliquez sur l'image ci-dessous :
Une explication (en plus de celles de mon passionnant article de 2015)
Nos décideurs fondent leurs choix et certitudes sur des rapports rédigés par des gens qui ne connaissent le nucléaire que d’une façon abstraite, voire idéale (relire mon article sur la pensée magique au pays des mathématiques).
Même si les adeptes de la religion nucléaire sont sincères et honnêtes, et que les process techniques qu’ils conçoivent sont parfaits sur le papier, ils ignorent tout de la réalité du terrain. Ils ignorent par exemple, que du fait de la désindustrialisation menée durant des décennies, les ingénieurs, techniciens, ouvriers qualifiés, soudeurs, (etc.) manquent cruellement. Les 10 années de retard de la construction de l’EPR de Flamanville en sont une parfaite illustration !
Dès le début du projet EPR, en 2007, EDF était conscient du retard
qu’il y allait avoir (là je ne peux révéler mes sources). Tous les ingénieurs
qui avaient participé à la construction des centrales existantes étaient partis
en retraite. EDF devait penser que la construction de l’EPR servirait à former une
nouvelle génération de zélés serviteurs du nucléaire. Mais c’était sans compter sur la nécessité de former également une nouvelle génération dans le reste de
l’industrie ! Si tant est qu’une seule génération suffise d’ailleurs. En attendant, les entreprises françaises font appel à des ouvriers de l'Europe de l'Est, non déclarés, bien sûr.
Mise à jour du 29/01/2021 : Lisez cet article du site ACRIMED.
Il explique comment Bouygues avait employé en toute illégalité au moins 460 travailleurs roumains et polonais entre 2008 et 2012 sur ce chantier du réacteur nouvelle génération, primordial pour EDF (propriétaire du site) et Areva (qui en assure la construction). » L’article revient également sur « la cruauté des conditions de travail des forçats du BTP employés à Flamanville, où une centaine d’accidents du travail n’ont pas été déclarés ». Ouvriers qui « ne disposaient d’aucune protection sociale », d’ « aucun congé payé » « pour une majorité d’entre eux » et « pour certains », d’ « aucun bulletin de paie ». Source : La condamnation de Bouygues passe sous les radars médiatiques.
Un dernier mot sur l’EPR :
Le coût de départ, estimé à 3.3 milliards avait atteint 12.4 milliards à la fin de 2019. A cela ajoutons le coût induit par les 10 années de retard à la livraison, dont le manque à gagner pour EDF n’a pas été communiqué.
Alors 40 ans, c'est trop vieux ?
L’article de France Bleu évoque le vieillissement des cuves
de réacteurs, qui "de toute façon" détermine la durée de vie de
celui-ci. Comme ne pas esquisser un triste sourire lorsque l’on sait que
l'acier du couvercle et du fond de la cuve de l'EPR de Flamanville (Manche)
présente des défauts graves de conception, avant même sa mise en service !
Dès 2006, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait évoqué le sujet avec Areva (devenu ORANO). L'année suivante, des tests avaient étayé les hypothèses pessimistes, mais l'entreprise était restée "confiante".
Source image : Le Parisien (2015) |
Il a fallu attendre 2012 pour qu'elle propose de faire les vérifications demandées par l'ASN. Certains tests auraient pu être lancés rapidement, mais ce ne sera qu’à la fin 2014, qu’Areva se résoudra enfin à les réaliser et qu’elle annoncera la mauvaise nouvelle à l'Autorité de Sûreté du Nucléaire. Le souci, c’est qu’entre temps, la cuve défectueuse aura été montée.
Des enquêtes furent menées. Un audit conduit sur le
site de fabrication du Creusot révéla des irrégularités dans le contrôle qualité de l'usine
ainsi que des défauts concernant 18 générateurs de vapeur installés sur le parc
d'EDF !
Areva et EDF finirent par reconnaître qu'elles n'étaient pas en mesure de fabriquer le couvercle et le fond de la cuve de l'EPR au Creusot. A l'avenir, la fabrication de ces pièces devrait être confié à Japan Steel Works (JSW).
Mise à jour du 29/01/2021 : Je pourrais également vous parler des 1.5 milliards que la réparation de soudures défectueuses va coûter. Mais lisez plutôt cet article sur le site Actu-Environnement : "EPR de Flamanville, la réparation des soudures coûtera 1.5 milliards d'euros". Ou encore celui-ci, qui explique qu'il a fallu que Greenpeace et Sortir du nucléaire portent plainte :"Soudures défectueuses..."
Source image : Geo.fr (2016) |
En fin de compte, il se pourrait qu’EDF se résolve à sacrifier les performances optimales théoriques de l’EPR en termes de production électrique, en abaissant la puissance, le facteur de charge, le taux de combustion (burn-up) du combustible nucléaire, en renonçant à utiliser du MOX, etc. Tout cela dans l'espoir d'amoindrir les contraintes physiques auxquelles la cuve sera soumise en exploitation.
Pour simplifier, EDF pourrait faire tourner son réacteur au ralenti pour éviter (on l'espère) qu’il ne casse...
Le problème, avec le nucléaire, c’est que lorsque l’on commence à s’informer, on va de découvertes en découvertes de plus en plus inquiétantes. J’ajoute que de par mon boulot et mes activités annexes, j’ai eu l'occasion de côtoyer des gens travaillants ou ayant travaillé pour le nucléaire et que ceux-ci m’ont beaucoup appris sur la situation. Trop hélas.
En résumé, ils vont prolonger la durée de vie de ces équipements archi-usés de 10 ou 20 ans, le temps, dans leur idée, de construire les nouveaux EPR ! Ces gens-là ne doutent de rien…
Mise à jour du 28/01/2021 : Lisez cet article de l'AFP paru ce jour dans le Républicain Lorrain, concernant les déboires de l'EPR anglais : "L'EPR, un fleuron français qui multiplie déboires, retards et surcoûts".
Profitez-en pour regarder attentivement cette belle image illustrant l'article, sur laquelle sont représentés les avantages de l'EPR :
- un récupérateur de corium en cas de fonte du réacteur,
- 4 systèmes indépendants de refroidissement,
- une enceinte de confinement renforcée.
Comprenez bien maintenant qu'aucun des 58 réacteurs
actuellement en service ne comprend ces sécurités...
Et les 40 ans ?
Réponse d'AREVA en 2010 sur la durée de vie des réacteurs
Voici une jolie illustration qu'AREVA avait réalisée en 2010, pour justifier l'intérêt de construire des EPR. Ces petits bijoux avaient deux avantages principaux :
- Ils consommaient moins d'uranium.
- Leur durée de vie était de 60 ans, au lieu des 40 années attribuées aux réacteurs existants.
Source : rtbf.be |
En raison des déficiences de l'ingénierie du nucléaire, il faut faire appel à l'ingénierie sociale pour fabriquer le consentement à la prolongation la durée de vie de réacteurs dangereusement vieillissants.
Ingénierie sociale ou Propagande ?
Dans son ouvrage intitulé « L’ingénierie sociale, expertise collective et transformation sociale », le professeur de
sociologie Alain Penven, explique : « Face à l'acuité et à la complexité
croissante des problèmes sociaux et en raison du scepticisme ambiant à l'égard
de l'efficacité de l'État providence, l'ingénierie sociale trouve aujourd'hui
une nouvelle actualité ». Il ajoute que « cette discipline trouve son
sens et sa légitimité davantage dans une dimension politique de production
d'espaces et d'actions publics que dans la mobilisation d'une technologie de la
résolution de problèmes sociaux ». Mais bien sûr...
Vous pouvez acheter ici son ouvrage : Editions érès
Je pense de mon côté, que les choix politiques et économiques menés depuis plusieurs décennies ont conduit nos sociétés au bord de l'effondrement (Rien que ça, oui.) et que l'ingénierie sociale est devenue un outil de pouvoir absolument indispensable.
Que se passera-t-il en cas d'accident grave dans une centrale nucléaire ? Vous avez pu vous faire une idée de ce qui reste des services de l'Etat depuis un avec la pandémie, non ?
Je vous conseille de lire ce vieil article de Transitio. Vous pourrez même y télécharger un document fort utile en cas d'accident : CODIRPA, ou comment gérer l'accident nucléaire en France".
Une dernière question.
Avez-vous lu le livre Propaganda ?
(Cet article sera complété et corrigé ultérieurement. Il me faut un certain laps de temps pour que mes fautes d'orthographe me sautent aux yeux.)
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