Foire Internationale d'Art Comptant Pour Rien |
Petite réflexion sur l'art contemporain
Un sujet "délicat" abordé courageusement sur Transitio.
Qui n’a jamais vécu ce moment délicat ("awkward moment" comme ils disent outre-Atlantique), où l’on se met à parler d’art contemporain, à l’occasion d’un dîner entre amis par exemple ?
Le candide
Il y a toujours un candide qui vous ressort la vielle histoire (mais véridique) du grand public et même des critiques d’art, qui n’avaient rien compris aux impressionnistes au 19ème siècle et s’étaient moqué d’eux lors de leurs premières expositions, alors que ceux-ci allaient devenir les plus grands artistes de leur époque !
Ce mercredi 22 octobre, lors de l’inauguration de la Foire Internationale d’Art Contemporain de Paris, le candide, ce fut notre pathétique premier ministre, Manuel Valls, qui n’a pas manqué de ressortir ce cliché éculé aux journalistes qui s’empressaient autour de lui !
"Il faut toujours de la controverse dans le domaine de l'art. Il y a 150 ans on mettait en cause les impressionnistes parce qu'ils étaient en contradiction avec la norme. Les impressionnistes aujourd'hui restent ô combien modernes. Vous savez qui était l'un des premiers soutiens des impressionnistes ? C'était Georges Clemenceau. Vous voyez, on boucle la boucle", s'est amusé le Premier ministre, grand admirateur du "Père la Victoire".
Amusant, non ?
L’article du Huffington Post sur lequel j’ai lu cette info, croit utile de préciser que Manuel Valls "s’est amusé". Il faut dire que notre respecté premier ministre venait de se faire prendre en photo à l’occasion de cette inauguration, en compagnie de la célèbre Zahia Dehar.
Zahia Dehar |
Amis étrangers qui lisez cet article (et que je remercie), sachez que la délicieuse Zahia a accédé au panthéon des nouvelles héroïnes nationales en Avril 2010, par la petite porte de la chronique judiciaire.
Elle exerçait en effet à l’époque le vieux métier de prostituée et elle avait eu des relations sexuelles tarifées avec le génial Franck Ribéry, l’excellent Karim Benzema et le talentueux Sidney Govou, tous les trois, membres éminents de notre formidable équipe de France de football, artistes du ballon rond s'il en est ! (Allez les bleus). Elle n’avait que 17 ans lorsqu’elle avait officié avec les deux premiers (ils ont été relaxés, fort heureusement). Une dernière info utile sur Zahia, elle a prouvé, scanner à l'appui, que ses seins étaient vrais (il n'y a donc pas eu tromperie sur la marchandise).
Mais là n'est pas le sujet de cet article !
En effet, là n’est pas le sujet de cet article. Depuis la chère enfant a été adoubée par les Peoples du Tout-Paris et elle est devenue le modèle vedette des fameux Pierre et Gilles qui l’ont photographiée en costume de Marie-Antoinette.
(Marie-Antoinette, amis étrangers qui me lisez, c’est la grosse dondon dépensière et volage qui par ses conseils avisés et ses multiples trahisons contribua à la perte de son époux le roi Louis XVI. Elle a depuis été réhabilité et est devenue la reine de France préférée des Français, grâce au talent du célèbre écrivain Stefan Sweig, à un film fantaisiste de Sofia Coppola et au délicieux Stefan Bern qui brûle chaque jour un cierge à sa mémoire).
Enfin bref, je m’égare ! C’est pour avoir contribué de ses charmes au culte révisionniste de cette reine de France, que Zahia, devenue la nouvelle égérie du Tout-Paris, se trouvait à la FIAC, ce lieu sacré, saint des saints de l’art contemporain. 😊
"Mais où veut-il en venir ?". Vous demandez-vous. (Ben oui, je vous comprends)
Je reconnais que je tourne un peu autour du pot, ne sachant par quelle anse le prendre. Mais c’est normal, parce qu’étant une production de l’art contemporain, ce pot n’a peut-être pas d’anse, voire, n’est peut-être pas un pot.
Il fallait bien hélas, c’était inévitable, que j’aborde un jour sur Transitio le dangereux sujet de l’art contemporain. L’art n’est-il pas depuis toujours le révélateur d’une société ? Ne me devais-je donc pas d’en parler sur ce modeste site, sur lequel je me targue de réfléchir à une société en transition ? Justement, c’est à cause de cela que j’hésitais.
Comment aborder le sujet (A bon ? Ce n’est pas déjà fait ?)
Je fais appel à votre bon sens. Vous comprenez bien, même si vous n’avez pas suivi des cours d’histoire de l’art, qu’une Vénus Callipyge (Vénus aux belles fesses), un tableau de Jérome Bosch, le penseur de Rodin, ou une compression de César, disent quelque chose de l’époque qui les a vus naître.
De même, le célèbre carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, l’urinoir de Marcel Duchamp ou la flaque d’eau de Koji Enokura, disent également quelque chose de la nôtre. Et là, reconnaissez avec moi que l’affaire se corse un peu.
Le Vénus Callipyge et la flaque d'eau de Koji Enokura
Je vous propose ci-dessous d'écouter la jolie chanson de Georges Brassens à propos de cette célèbre Vénus.
Sujet difficile
Il est de plus difficile, voire impossible d’émettre la moindre petite critique, le plus léger doute, vis-à-vis de certaines créations de l’art contemporain, sans qu’un candide de service ne vienne vous resservir le coup des impressionnistes qui bla bla bla…
Car pour parler de l’art contemporain, sachez-le, c’est un peu comme pour parler du nucléaire ou du climat, il faut être un spécialiste ou se taire à jamais sous peine d'être considéré comme un dangereux hérétique.
Merci d’avoir lu jusqu’ici. Continuons, si vous le voulez bien. Nous allons essayer de procéder avec méthode et prudence.
Procédons avec méthode et prudence
Posons-nous par exemple la question suivante : "Qu’est-ce que l’art ?"
Le Larousse de 1928 que m’a légué mon grand-père, nous dit ceci :
Sommes-nous plus avancés grâce à cette définition ?
Posons-nous alors cette autre question : "A quoi sert l’art ?"
Selon les augustes anciens, comme Horace ou Cicéron, l’art avait pour objet d’instruire et de plaire "Docere et delectare".
Horace disait par exemple de la poésie :
"La poésie veut instruire ou plaire ; parfois son objet est de plaire et d'instruire en même temps"
(Ars Poetica, 333-334 et 343-344 : Aut prodesse uolunt aut delectare poetae aut simul et iucunda et idonea dicere uitae.)
Cette honorable mission s’inscrivait dans la continuation du célèbre "Kalos kagathos" de la littérature grecque, qui signifie "beau et bon". Car selon le point de vue de ces piliers de la pensée humaine, ce qui était bon était beau et ce qui était beau était bon. Le bien, le bon, étaient indissociable du beau.
Platon, nous dit par exemple dans son célèbre mythe de la caverne :
"dans le monde intelligible, l’idée du Bien est perçue la dernière et avec peine, mais on ne peut la percevoir sans conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y a de droit et de beau en toute choses ".
Platon signait d’ailleurs ses lettres de la formule de politesse "eu prattein" (bien agir). Celle-ci s'entendait à double sens "qui agit bien se porte bien" et "qui se porte bien agit bien".
Le beau, le bien, le bon, tels étaient alors les idéaux que l’art devait véhiculer…
Et puis les siècles ont passé, et l’art a continué son chemin, avec des hauts et des bas.
Il y eu même un âge sombre où l’art servi bien sûr à éduquer, mais aussi à effrayer le malheureux peuple, en représentant aux murs de ses églises les mille tortures des damnés de l’enfer.
On peut constater cependant, que chaque fois que la civilisation eut un sursaut, une renaissance, l’art accompagna et embellit cette avancée du progrès humain.
Mais vous l’avez bien compris, cette conception de l’art n’a plus vraiment cours de nos jours.
Enquête sur la mort de l'art (celle sur la mort de dieu viendra plus tard)
Nous pourrions nous demander à présent quand cette idée de l’art est-elle morte dans la culture occidentale ?
Au 19ème siècle, tandis qu’un vieux monde entrait dans crépuscule, pour le grand philosophe Nietzsche, celui qui annonça la mort de Dieu, l’art semblait encore être le dernier espoir. « Nous avons l’art pour ne pas périr de la vérité » écrivait-il. « L’art est plus puissant que la connaissance, car c’est lui qui veut la vie, tandis que le but ultime qu’atteint la connaissance n’est autre que… l’anéantissement. » écrivait-il encore.
L’art justifie la vie Friedrich ? Est-ce là son secret vraiment ?
Dans ce cas, je pense que les expositions de cadavres plastinés de Gunther von Hagens n’ont plus grand-chose à voir avec ce bel idéal. Lorsque j’en vois les sinistres photos, je ne peux m’empêcher de songer avec horreur aux savons en graisse humaine que faisaient fabriquer les nazis. Nous sommes bien loin du "Déjeuner sur l’herbe" ou de "l’origine du monde".
Le corps humain devenu chose, chose que l’on exploite ou que l’on expose dans une galerie d’art contemporain, par exemple.
Cette idée de l’art serait-elle morte alors au 20ème siècle ? Dans les tranchées de Verdun où dans les camps d’extermination ? Je ne peux répondre à cette question car je ne suis pas un critique d’art et je risquerai d’entendre ricaner le candide qui viendrait me resservir son histoire d’impressionnistes.
Vous pouvez également lire cet article très sérieux sur les fonctions de l’art sur le site europsy.org (je vous le conseille) : "Les fonctions de l'art".
Surfons un peu sur les idées
Je sais surfer dans les dîner en ville. Je sais donc comment apaiser le débat, lorsque ledit candide est intervenu. Je sais bien que l’art contemporain prétend nous faire réfléchir plutôt que nous émouvoir. Raison pour laquelle la rédaction du catalogue d’une exposition d’art contemporain demande beaucoup plus de travail et de temps que la réalisation de la plupart des œuvres qui s’y trouvent exposées.
Alors, de quoi l’art contemporain est-il le nom ? (Comme dirait l’autre).
L’art est vraiment, comme je l’écrivais plus haut, le révélateur de ce qu’est une société et l’art contemporain nous renvoie une parfaite image de la nôtre.
A toutes les époques, les élites se sont intéressées à l’art, et ce pour de nombreuses raisons, prestige, gloire, richesse. De plus, la réalisation des œuvres coûtait très cher. En effet, comme le disait la définition du dictionnaire de mon grand-père, l’art demandait des connaissances raisonnées et des moyens spéciaux, il s’acquerrait par l’étude et l’exercice, mais aussi et surtout il nécessitait des matériaux souvent précieux, du temps et donc de l’argent, beaucoup d’argent.
Nous arrivons sur la plage
Peut-être commencez-vous de comprendre pourquoi l’art contemporain plait tellement à nos nouvelles élites ? Non ?
L’art contemporain produit par ses œuvres de la valeur, de la richesse, beaucoup de richesse. Mais il s’agit-là d’une nouvelle forme de richesse, quasi miraculeuse, car elle ne demande ni talent, ni travail, ni même de matériaux précieux.
Voilà bien le rêve de nos nouvelles élites, une richesse qui se crée à partir de rien ou presque.
A la prochaine étape, l’art contemporain pourrait même se passer d’êtres humains. Ce serait dans la logique de la société vers laquelle nous semblons nous diriger.
Vous pensez qu’une fois de plus j’exagère ?
Thomas Lindemeier et Oliver Deussen tente actuellement de traduire en algorithmes les processus de création artistique chez l’homme pour les inculquer au robot qu’ils ont mis au point "e-David". Celui-ci est déjà capable de peindre mieux qu’ils ne le feront jamais.
Mon moment méchant (Vous pouvez passer ces lignes empreintes d'un mauvais esprit que je désapprouverai plus tard)
Mais j'ai un petit doute, en effet, concernant ce risque robotique. Car l'art contemporains est bien souvent pratiqué par des gosses de riches qui ne savent rien faire de leurs dix doigts et qui trouvent un moyen de bien vivre, en fabriquant des variantes des colliers de nouilles ou des presse-papiers en pâte à sel qu'ils ont appris à faire à l'école maternelle.
Fin du moment méchant (Désolé)
Des robots ou des singes ?
Personnellement, ne m’en veuillez pas si je préfère encore les tableaux peints par des singes, car au moins, eux, ils y ont mis toute leur sensibilité.
Le plus célèbre d’entre eux fut le singe Congo dans les années 50, dont certaines des œuvres ont été vendues fort cher aux enchères.
Plus récemment il y a eu également Koko le gorille.
Si l’art simien vous intéresse, lisez cet article sur très documenté dans lequel l’auteure se demande même si le peintre ne descendrait pas du singe : Le peintre descend-il du singe ?
Vous y découvrirez ces vidéos d'artistes singes, que je ne peux m'empêcher de trouver touchantes.
Je vous conseille également cet excellent article sur le site de Futura Science : Les animaux ont-ils une culture ?
On approche de la conclusion (Enfin !)
Ne vous méprenez pas, je ne mets pas toutes les œuvres de l’art contemporain dans le même sac. Les artistes ne sont que les mediums de notre société, il ne faut pas les accabler. Le débat à propos de l’art contemporain a donc son utilité.
Néanmoins, reconnaissez qu’il est parfois bien difficile de ne pas éclater de rire, lorsque l’on voit certains de ces nouveaux "Bourgeois gentilshommes" (comme Bernard Arnault ou François Pinault par exemple) se pavaner devant certaines des œuvres qu’ils ont achetées à prix d’or (Mais qu'ils revendront plus cher encore, bien sûr).
Conclusion
Le ton de cet article se voulait léger, mais le sujet était très sérieux.
Il en va en effet de l’idée que l’on se fait de la culture, mais aussi de celle que l’on se fait de l’être humain. Ma vision vous semble probablement rétrograde. Citer les anciens peut en effet sembler ridicule de nos jours.
Ma vision de l’art est celle d’un humaniste. Si certains parmi vous souhaitent savoir ce qu’est un humaniste, je les invite amicalement à visiter mon blog-note, dans lequel j’ai conservé précieusement la réponse d’Hanna Arendt à cette question.
En voici un extrait :
"Alors nous saurons répondre à ceux qui souvent nous disent que Platon ou quelque autre grand écrivain du passé est dépassé ; nous pourrons répondre que, même si toute la critique de Platon est justifiée, Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques. En toute occasion, nous devons nous souvenir de ce que, pour les Romains – le premier peuple à prendre la culture au sérieux comme nous -, une personne cultivée devait être : quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé."
Pour paraphraser Cicéron dans les Tusculanes lorsqu’il parle de Platon, je conclurai donc en disant que je préfère me tromper en compagnie de ceux qui admirent la Vénus callipyge, qu’avoir raison avec ceux qui admirent le carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch.
Bertrand Tièche
Quelques liens qui libèrent ?
Je vous propose encore quelques liens, qui valent leur pesant de cacahuètes (que l’on devrait plutôt donner aux singes) :
Une histoire de l’art (très drôle) publiée par un certain "Odieux Connard" sur son blog : Histoire de l'art
La fameuse histoire de cette femme de ménage italienne qui a jeté une installation d'art contemporain dans un musée en croyant faire son travail !
Un entretien plutôt féroce d'un certain Jean Clerc : L'art est mort depuis longtemps.
Si vous êtes arrivés au bas de cette page, c'est que le sujet vous a intéressé et je vous en remercie, car ce n'était pas facile !
Je vous offre donc ce dernier petit cadeau. C'est un reportage de Giv Anquetil et Daniel Mermet, avec Franck Lepage diffusé le 6 novembre 2013 dans l'émission "Là-bas si j'y suis" sur France Inter.
Il se trouve sur le site de l'émission "La-bas si j'y suis" et il s’intitule : "Trois réacs à la FIAC"
Merci, car cet article m'a donné beaucoup de mal ! 😉
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